• Nabû, dieu mésopotamien de l’écriture

    Nabû, dieu mésopotamien de l’écriture

    Fils de Marduk et de Sarpanitu, Nabû est le dieu akkadien de l’écriture, de la sagesse et des scribes.

    Mais quels étaient ses caractéristiques, ses pouvoirs et sa relation avec les rois assyro-babyloniens ?

    Dans un oracle néo-assyrien, le dieu Nabû octroie au roi Assurbanipal une démarche ferme ainsi que des gestes sûrs et une élocution sans défaut, c’est-à-dire un équilibre parfait dans les mouvements et dans l’usage de la parole. Or, Nabû semble un dieu particulièrement indiqué pour accorder aux mortels de telles qualités. A maintes reprises on lui reconnaît le pouvoir de raffermir ceux qui chancellent – « zaqip enši » est une épithète habituelle de Nabû aussi bien dans les noms propres que dans les prières : « tu plantes le faible fermement sur ses pieds, tu maintiens en vie l’invalide ». A partir des derniers siècles du IIe millénaire, Nabû devient le scribe par excellence, « ṭupšar gimri », le scribe de la totalité, celui qui tient les comptes.

    Mesure du temps, il semble constituer un des rouages essentiels d’une société bureaucratique dont la complexité en constante augmentation atteindra son apogée au Ier millénaire dans l’empire des Sargonides. C’est justement à cette époque que l’importance de ce dieu, vénéré au début uniquement dans une ville secondaire dépendant de Babylone, Borsippa, s’accroît au point de sembler parfois presque obscurcir la renommée de Marduk, le tout-puissant dieu de Babylone dont Nabû n’est que le fils. Or, Nabû est souvent appelé sāniq mithurti, celui qui assure l’équilibre. Cette activité va de pair avec celle de scribe de la totalité ou de scribe des dieux (ṭupšar ilāni) dont le rôle est de mesurer le temps et essentiellement les années et les jours de la vie des hommes. Ce pouvoir, Nabû ne l’exerce pas seulement du fait qu’il est le scribe qui tient un compte exact des actions de chacun, mais également parce que c’est à lui que, en tant que scribe de l’Esagil, le grand temple de Babylone, sont confiées les « tablettes de la destinée » (ṭup-šimāti).

    Il est par conséquent, étroitement lié à la balance (zibānītu ; gišrinnu) et à sa fonction, la pesée. Contrairement à Šamaš, le soleil, dont une des missions est de vérifier que les poids ne soient pas truqués, que la pesée ait lieu avec des poids justes, Nabû apparaît comme le dieu grâce auquel s’établit ce moment, en quelque sorte parfait, pendant lequel les deux plateaux de la balance s’équilibrent. Ce caractère momentané se manifeste au ciel lorsque le soleil et la lune sont en opposition (šitqultu) et surtout pendant les deux équinoxes où le jour et la nuit s’équilibrent. La balance apparaît, de ce fait, paradoxalement à la fois comme l’image la plus parfaite de l’équilibre et le symbole même de l’instabilité.

    Un autre point mérite de retenir notre attention. La promesse de Nabû de donner au roi un discours sans défaillance fait suite à une exigence que le dieu impose à son protégé : la prière sans relâche que ce dernier doit adresser à Nabû. L’attitude du fidèle totalement dédié à la prière est mise ainsi sur le même plan que la sûreté des gestes, de la démarche et de l’élocution, ce qui laisse supposer, inversement, une relation entre le boiteux, celui dont les mains sont agitées de tremblements et le bègue, d’une part, et l’homme qui néglige ses devoirs envers les dieux, lā pāliḫ ilī, d’autre part. Ainsi analysé, l’oracle néo-assyrien nous permet de considérer le problème de la boiterie sous un angle différent de celui qu’on avait adopté jusqu’ici. En établissant une relation entre trois types de défauts physiques qui sont bien distincts et sans lien apparent entre eux, comme le bégaiement, le désordre des gestes et la bancalité, l’oracle nous oblige à chercher entre ces trois infirmités un dénominateur commun. On peut ajouter que le dieu qui, dans cet oracle, garantit à Assurbanipal la parfaite normalité de l’usage de ses membres et de la parole est Nabû qui, à cette époque, semble être un dieu particulièrement indiqué pour accorder aux mortels de telles qualités. A maintes reprises, on lui reconnaît le pouvoir de raffermir ceux qui chancellent. Zāqip enši : qui plante fermement le faible (sur ses pieds), dûr enši : mur du faible, ālik id enši : qui va aux côtés du faible, sont des épithètes fréquemment accolées à Nabû dans les noms propres.

    Dans les prières également, ce dieu apparaît dans la fonction — qui est déjà celle de Marduk — d’être celui qui affermit le faible et élargit l’assise du miséreux (W.G Lambert met l’accent sur le sens de besogneux que peut avoir enshu). De ce dieu à la carrière mystérieuse et des raisons de son immense popularité au Ier millénaire surtout à l’époque néo-assyrienne et néo-babylonienne, nous savons peu de choses. Il est titulaire d’un temple à Borsippa, il est le sukallu, le vizir, ou le fils de Marduk, mais l’Enūma eliš ignore son existence. Au Ier millénaire, à partir du VIIIe siècle, son importance s’accroît. Il devient le scribe par excellence, le scribe de la totalité, ṭupšar gimri, le scribe de tout ce qui est, ṭupšar mimma šumšu,le scribe des dieux, ṭupšar ili, rôles auxquels le destinait peut-être déjà sa fonction plus ancienne et plus modeste de scribe de l’Esagil. Il est celui qui établit la durée du mois et de l’année (Nabû est « le fils auguste mukin arḫi u šatti, qui établit [la durée] du mois et de l’année » L.W KING, Babylonian Boundary Stones, Londres, 1912, XI, 78, III, ligne 6), son pouvoir s’exerce sur la vie des hommes dont, selon le comportement, il peut allonger ou raccourcir les jours, les empêchant d’atteindre ce qui semble le privilège suprême ; l’extrême vieillesse. C’est à Nabû que Nabuchodonosor II demande : « Décrète sur ta tablette l’allongement de mes jours, inscris [pour moi] une grande vieillesse. » Sous-jacente à cette divinité extrêmement savante et calculatrice, il est facile d’imaginer une société bureaucratique dont la complexité atteint son apogée dans l’empire des Sargonides justement au moment où la popularité de Nabû s’accroît au point de presque dépasser celle de son père Marduk. N’affirme-t-on pas dans un passage d’une prière que l’ordre de Nabû ne peut être changé, même pas par son propre père Marduk ?

    Parmi les multiples appellations qui définissent les diverses fonctions de ce dieu, il en est une qui semble lui être réservée. A ce jour, la plus grande partie des prières où apparaît l’expression sāniq mitḫurti est centrée autour de Nabû. Deux textes font exception : ils se réfèrent l’un à Ninurta sous l’aspect de l’étoile Sirius et l’autre à Nergal comme planète Mars. Ces deux dieux ont, sous certains aspects, une personnalité proche de celle de Nabû. Quant au sens exact de sāniq mitḫurti, W. von Soden traduit : « der die Harmonie prüft » ; CAD : « He who makes adversary forces comply » ; W.G. Lambert : « the adjuster of the balance », pour ne citer que les traductions les plus récentes. A une nuance près, ces traductions s’équivalent. Il est probable que par sāniq mitḫurti on visait un aspect céleste de Nabû — ce qui trouve une confirmation dans les deux autres prières dédiées à Ninurta et à Nergal. L’examen des autres expressions employées concurremment à sāniq mitḫurti est à même de nous fournir quelques repères utiles. A commencer par celles qui glorifient Nabû comme dieu des scribes, qu’il s’agisse du « scribe des dieux » ou de l’Esagil qui est en même temps le détenteur des « tablettes de la destinée des dieux (inscription des lions de Til-Barsip, Nabû est cité entre Marduk et Sîn) ». De son activité de scribe découle la faculté de « raccourcir les jours à venir » de celui qui accomplit un acte impie (inscription funéraire apocryphe : dans les malédictions Nabû est cité entre Marduk et Nergal, sa-ni-iq mit-hur-ti mi-na-a-ti u4-me-shu GÍ [D.D]Ameš li-kar-ri : « que [le dieu] qui assure l’équilibre raccourcisse le nombre de ses jours à venir ».

    De même, dans L.W King. Boundary Stones, XXXIV, 116, ligne 19, que Nabû, « le scribe de la totalité », raccourcisse ses jours à venir »). C’est un très vaste clavier de compétences du dieu de l’écriture qu’on découvre à travers les épithètes destinées à le glorifier. Il n’est pas seulement le plus sage (apkallu) parmi tous les gouvernants, le dieu excessivement savant, dont la souveraineté est la plus haute, celui qui surveille tous les dieux, mais aussi un dieu cosmique qui supervise la totalité du ciel et de la terre et tout ce qui existe, et qui tient les rênes de la terre et du monde souterrain. Tout cela nous permet de lever un voile sur les conceptions théologiques de l’époque des derniers Sargonides (à propos de la lettre R.F. Harper, Assyrian and Babylonian Letters, Londres-Chicago, 1892 – 1914, 366, note les interférences qui existent à cette époque dans le culte entre l’image de Nabû et celle du roi) et nous aide à comprendre que Nabû en tant que garant de l’ordre cosmique soit celui qui en établit l’équilibre et qui confère au roi la capacité d’assurer dans le domaine terrestre l’ordre et l’équilibre. En d’autres termes, pour revenir à notre discours, quel dieu pouvait mieux que Nabû sāniq mitḫurti secourir l’homme qui trébuche en parlant, en marchant et en saisissant un objet et lui permettre de rétablir la communication que ses défauts physiques, ses faux pas, avaient interrompue ?

    En Assyrie, Nabû apparaît souvent comme un dieu de la sagesse et de l’intelligence. Il est également associé à l’irrigation et à l’agriculture. Sa parèdre était Tašmetu, la déesse de l’intelligence. Le culte de Nabû attesté dans la ville d’Ebla au XXIVe siècle avant J-C se développa en Assyrie après que Salmanasar Ier (1263 – 1234 avant J-C) lui eut érigé un temple dans la ville d’Assur. Assurnasirpal II (883 – 859) lui dédia un temple à Kalhu, qui fut restauré par Adad-Nerari III ( 810 – 783 avant J-C). ce dernier promut également le culte du dieu en lui bâtissant un temple à Ninive. En Babylonie, l’un des principaux temples de Nabû se trouvait à Borsippa, à une vingtaine de kilomètres du sud de Babylone. Le dieu se rendait dans cette dernière ville chaque année pour l’Akitu (les fêtes du Nouvel An). Nabu était le fils de Marduk, dieu poliade de Babylone et chef du panthéon, et de sa parèdre Sarpanitu.

    De nombreux rois mésopotamiens, notamment le fameux Nabuchodonosor, portent le nom de Nabû et ce dernier fut aussi populaire en dehors de la Mésopotamie comme en témoigne son temple à Palmyre.

    Bibliographie

    – Elena Cassin « Le semblable et le différent : symbolismes du pouvoir dans le Proche-orient Ancien ». La Découverte. 1987

    Qui était le dieu Nabu ? | Nimrud (culture.gouv.fr)

  • Les cultures mésopotamiennes, de Hassuna à Uruk

    Les cultures mésopotamiennes, de Hassuna à Uruk

    C’est à l’époque néolithique, au VIIIe millénaire, qu’une partie de la population du Proche-Orient est devenue sédentaire et a commencé à maîtriser l’agriculture et l’élevage. Précisément, c’est dans la partie nord du croissant fertile, là où les ressources hydrauliques étaient abondantes, et dans les régions riveraines de la Méditerranée que l’agriculture irriguée a vu le jour. Dès le Néolithique, il existait sûrement des aménagements pour que les hommes puissent planter des espèces dont ils avaient besoin pour se nourrir : les premiers véritables canaux ont été creusés vers 6500 avant J.-C. en Mésopotamie méridionale. Les outils étaient en bois (araires, plantoirs…), voire en roseau et en pierre (houe, haches, éléments de faucilles en silex).1

    1. Bordreuil et al,. 2014 ↩︎

    A partir de 7000, grâce à l’agriculture, on assiste dans l’ensemble de la région à un net accroissement des installations sédentaires. La disposition des villages se met à refléter une organisation sociale plus claire où s’affirme peu à peu une élite détentrice de l’autorité, qui manifeste une capacité grandissante à gérer des ouvrages collectifs. C’est aussi durant la même période (vers 7000) que sont apparues les premières productions de récipients et vaisselle en terre cuite, étape importante qui a conduit les spécialistes à caractériser tout ce qui précédait de période « néolithique pré-céramique ». Produit emblématique de la vie rurale et sédentaire, la céramique ne s’est donc imposée et généralisée qu’après que l’agriculture eut été maîtrisée. Dès l’origine, on constate une assez grande variété, tant dans les formes qu’adoptent les jarres, les plats ou les pots, que dans les techniques de fabrication et de décor. Incisions et motifs peints font d’ailleurs de certaines pièces datant de ces périodes de véritables œuvres d’art. Pour définir ces « cultures », de multiples données descriptives sont disponibles pour un assez grand nombre de sites archéologiques et sur des aires parfois assez étendues, dont on trouve le tableau détaillé dans les ouvrages spécialisés. Il ne faut cependant pas imaginer que ces sites étaient très peuplés : beaucoup d’entre eux n’ont sans doute compté que quelques dizaines d’habitants.2 Voyons ci-après les caractéristiques des différentes cultures qui ont fleuri en Mésopotamie entre le VIIe millénaire et le IVe millénaire avant notre ère.

    2. Lafont et al., 2017

    La culture de Hassuna (VIIe millénaire)

    La révolution agricole a eu lieu tout d’abord dans cette région de Mésopotamie du nord. C’est ici que l’on observe la lente évolution de communautés disparates de tribus de chasseurs-cueilleurs vers des sociétés relativement plus sédentaires et homogènes basées sur l’agriculture, c’est-à-dire la domestication des plantes et des animaux, l’agriculture et l’élevage. C’est le premier pas de l’homme vers ce qui sera plus tard une société de véritables regroupements denses de populations, rendus possibles par la maîtrise des techniques agricoles entraînant des surplus de production alimentaire reposant sur la division du travail, les premières économies de commerce et les premiers systèmes de connaissance universelles comme l’écriture. Ces sociétés ont ensuite évolué vers des formes de structures administratives, politiques et idéologiques complexes et centralisées. Les premières preuves manifestes de cette révolution jusque là sans précédent dans l’histoire de l’Humanité durant toute la période néolithique se constatent notamment dans les villes sumériennes vers 3000 avant J.-C. leur émergence marque la fin du néolithique et le réel commencement de l’ère historique.3 La civilisation néolithique de Hassuna (6500 – 6000) a occupé l’actuelle Djezireh et la région de Mossoul. Les populations habitaient des petits villages à architecture rectangulaire ou ronde et vivaient de cultures sèches et de l’élevage des ovicaprinés. Le mobilier est caractérisé par une céramique simple à formes globuleuses, ornée de motifs linéaires incisés (parfois peints dans la phase finale).4

    Aux VII et VIe millénaires, alors même qu’en Turquie intervenaient des développements spécifiques du néolithique qu’ont fait connaître les découvertes spectaculaires du site de Catal Hoyuk – la toute première grosse agglomération d’époque néolithique de l’histoire – en ce qui concerne la Méospotamie, c’est d’abord dans la moitié nord que plusieurs foyers culturels se sont mis à jouer un rôle important. Il en est ainsi avec la culture de Hassuna qui caractérise une phase d’environ cinq siècles (6500 – 6000) au cours de laquelle se développent des communautés villageoises composées de quelques familles regroupées autour d’un grenier collectif ; ou encore de la culture de Samarra qui tire son nom d’un site des bords du Tigre, à une centaine de kilomètres au nord de Bagdad, considérée comme une évolution de la précédente, avec une extension en direction de la Mésopotamie du sud.5

    3. Perrin-turenne, 2023
    4. Francis Hours – https://www.universalis.fr/encyclopedie/hassuna-civilisation/ – consulté le 18 juillet 2023.
    5. Lafont et al., 2017. p.35

    La culture de Samarra (6200 – 5700) est un prolongement culturel et spatial de Hassuna. Ce sont notamment les sites de Choga Mami ou de Tell es-Sawwan qui ont fait connaître cette culture de Samarra, laquelle révèle pour la première fois la maîtrise de techniques d’irrigation rudimentaires et l’usage de la brique crue moulée qui devait révolutionner les modes de construction.6

    Fig 1. Figurine féminine de la culture de Samarra en albâtre, aux yeux incrustés de coquille, découverte dans les tombes du site de Tell es-Sawwan, au nord de Bagdad

    La poterie de Samarra a été peinte dans un style dynamique, représentant des filles dansantes avec des cheveux qui coulent, des chèvres, des cerfs, des scorpions, et beaucoup d’autres animaux. Des figurines féminines très sophistiquées étaient également fabriquées, décorées de peinture faciales ou de marque de tatouage et couronnées d’une coiffure élaborée.

    Ces pièces ont été fabriquées à l’aide d’une tournette (également connue sous le nom de « roue lente »), et peut-être par des spécialistes, suggérant que certains individus avaient déjà acquis une certaine liberté vis-à-vis du travail quotidien dans les champs grâce à une productivité accrue.

    Les plus grandes colonies s’étendaient sur environ six hectares ; Samarra elle-même correspond à cette description. Sa population est estimée à environ un millier de personnes – le double de la taille du plus grand village de Hassuna. Le style de construction des maisons en forme de T de Samarra peut avoir été copié de la culture de Hassuna, car il existe des similitudes entre les deux styles. Les deux ont utilisé des briques de boue et les maisons de Samarra se composaient de plusieurs pièces avec contreforts extérieurs, apparemment à l’origine pour supporter les coins des pièces et les poutres (ces deux-là sont par la suite devenus une caractéristique décorative). Les maisons étaient agencées autour d’une cour ouverte et contenaient des greniers et des fours.

    L’économie de la culture samarienne présentait apparemment des caractéristiques complexes comme les sceaux-cachets (tout comme la culture de Halaf ultérieure en présentait), et on observe les possibles marques d’artisans individuels de la poterie, qui suggère un certain niveau de spécialisation dans les métiers de l’artisanat.7

    6. Lafont et al., 2017
    7. Kessler 2008

    Un autre important foyer a été celui de la Culture de Halaf (6000 – 5100), d’après le site éponyme situé en Syrie du nord dans la Djezireh. Pratiquement contemporaine de celle de Samarra, elle a connu un très large essaimage dans toute la Syrie et la Mésopotamie septentrionale, depuis la Méditerranée jusqu’aux piémonts de la chaîne du Taurus. Dans ce qui sera la future Assyrie, elle remplace la culture de Hassuna et finit par atteindre les vallées du Zagros et la Mésopotamie centrale. Cette exceptionnelle expansion a donc surtout concerné les zones d’agriculture dite « sèche », c’est-à-dire celles où les précipitations sont suffisantes pour que l’on n’ait pas à recourir à de quelconques installations hydrauliques. Cette période de Halaf se caractérise par une nouvelle céramique peinte, un habitat qui fait alterner constructions circulaires (les tholoi) et quadrangulaires, ou certaines productions caractéristiques de figurines. Elle voit aussi apparaître les tout débuts de la glyptique, cette technique de taille en creux de cachets en pierre destinés à laisser une empreinte dans l’argile. Sont ainsi inaugurées des pratiques embryonnaires de scellement, qui seront appelées à jouer un rôle important aux temps historiques, lorsque ces cachets seront remplacés par des sceaux-cylindres.

    On a longtemps débattu pour savoir si la large diffusion de la culture halafienne pouvait avoir un lien avec les circulations commerciales de l’obsidienne, dont les principaux gisements se trouvent en Anatolie et qui fut alors largement utilisée parallèlement au silex pour réaliser une grande variété d’objets tranchants ; mais cette hypothèse n’a pas été confirmée. Quoi qu’il en soit, la culture de Halaf a représenté une époque de grande mobilité des populations à travers le Proche-Orient, qui pourrait être mise en rapport avec le développement d’une forme de nomadisme liée à l’essor d’un élevage transhumant, et à de nouvelles pratiques d’échanges, tant il est vrai que les plus anciens nomades, dont le rôle sera si important dans la suite de l’histoire mésopotamienne, ne doivent pas être simplement considérées comme les descendants des chasseurs cueilleurs de la préhistoire.8

    8.Lafont et al., 2017, p.38

    Malgré la longévité de ces cultures et leur développement, c’est en Mésopotamie du sud, autour des fleuves nourriciers que d’importantes transformations urbaines menant à une complexification sociale vont se produire.

    À partir de la fin du VIe millénaire, les établissements permanents de la basse plaine mésopotamienne ont connu une évolution à part, marquée par de nouvelles mutations. S’impose, autour de 5300 avant notre ère, ce que l’on appelle l’époque d’Obeid, amorcée vers 6500, d’après le nom du site éponyme situé dans l’extrême sud irakien, à proximité de la future ville d’Ur et des eaux du golfe arabo-persique ; elle se caractérise par une longue période d’épanouissement de villages de plus en plus nombreux et importants. La civilisation d’Obeid mit au point un système de faucille en terre cuite pour couper les céréales et les roseaux. Ces faucilles ont été abandonnées à partir de la maîtrise de la technologie du métal, mais les outils en pierre ont été utilisés jusqu’à la fin de l’âge du Bronze.

    L’Uruk ou Chalcolithique tardif (4500 – 3000) suit le processus d’urbanisation amorcé avec vigueur à la période d’Obeid. Cette accélération dans l’occupation du territoire s’est nécessairement accompagnée de modes d’échange et de communication à plus longue distance, ainsi que d’une meilleure maîtrise du territoire – possiblement de l’irrigation – permettant une agriculture à plus grande échelle. Les fouilles montrent également le développement de nombreux acquis, tels que la spécialisation artisanale, la technique de la métallurgie du cuivre, l’apparition d’espaces publics, l’échange de biens rares et la hiérarchisation sociale.9

    9. Couturaud 2021, pp. 265 – 288

    L’irrigation s’est développée à la fin du IVe millénaire, avec la construction de canaux et de dérivations des fleuves, réalisées à l’aide de barrages, qui ont permis à l’homme de cultiver des champs, essentiellement des céréales (épeautre, blé et orge), et de planter des arbres fruitiers (oliviers, amandiers, pistachiers, figuiers…).10

    10. Lafont et al., 2017

    S’ensuit en Mésopotamie l’émergence de sociétés codifiées, complexes et hiérarchisées sumérienne et assyro-babylonienne dont les noms sont encore de nos jours synonymes de vivacité intellectuelle et d’inventions majeures.


    Pour citer cet article : « L-J Anthony Halley, « Les cultures mésopotamiennes, de Hassuna à Uruk », WordPress. 2023″

  • Le sommeil dans l’histoire : des Sept Dormants d’Ephèse aux contes de fées

    Le sommeil dans l’histoire : des Sept Dormants d’Ephèse aux contes de fées

    Ils s’appelaient Maximien, Malchus, Marcien, Denys, Jean, Sérapion et Constantin. Ils sont l’objet d’un culte au sein de nombreuses traditions religieuses et régions géographiques de par le monde. La sourate 18 « Al-Kahf » leur fait référence (où ils sont trois ou sept), les chrétiens quant à eux les appellent les « Sept dormants d’Ephèse ».

    Voici leur histoire :

    Ephèse est située sur la côte turque occidentale, au nord-est de l’île de Samos. Elle fut fondée vers 1000 avant notre ère et fut l’une des villes les plus puissantes de l’époque romaine. La ville était placée sous la protection d’Artémis, sœur d’Apollon et connut son âge d’or entre le IIe siècle avant notre ère et le Ier siècle. Au sud-ouest du temple d’Artémis et à l’est de l’entrée de l’ancien port romain se situe le mont Peion, aujourd’hui Panayir Dag, colline autrefois consacrée à Léto, mère d’Artémis. Cette colline abrite sur l’un de ses flancs, une grotte que l’on appelle de nos jours la grotte des Sept Dormants d’Ephèse.

    Les premières traces de l’histoire des sept dormants ont été retrouvées dans des manuscrits syriaques anciens datant du Ve et VIe siècle, la version la plus ancienne de ce récit fut écrite au VIe siècle par Jacques de Saroug, évêque syrien.

    Selon le dictionnaire infernal (p.194), sous l’empire de Dèce, en l’an 250 de notre ère, il y eut une grande persécution contre les chrétiens. Sept jeunes gens, attachés au service de l’empereur, ne voulant pas désavouer leur croyance, et craignant le martyre, se réfugièrent dans une caverne située à quelque distance d’Éphèse ; et, par une grâce particulière, ils y dormirent d’un sommeil profond pendant deux cents ans.

    L’auteur poursuit en disant que les musulmans assurent que, durant ce sommeil, ils eurent des révélations surprenantes, et apprirent en songe tout ce que pourraient savoir des hommes qui auraient employé un pareil espace de temps à étudier assidûment. Leur chien, ou du moins celui d’un d’entre eux, les avait suivis dans leur retraite, et mit à profit, aussi bien qu’eux, le temps de son sommeil. Il devint le plus instruit du monde. —Sous le règne de Théodose-le-Jeune, l’an de Notre Seigneur 450, les sept Dormants se réveillèrent et entrèrent dans la ville d’Éphèse, croyant n’avoir fait qu’un bon somme; mais ils trouvèrent tout bien changé. Il y avait longtemps que les persécutions contre le christianisme étaient finies ; des empereurs chrétiens occupaient les deux trônes impériaux d’Orient et d’Occident.

    Les questions des frères et l’étonnement qu’ils témoignèrent aux réponses qu’on leur fit surprirent tout le monde. Ils contèrent naïvement leur histoire. Le peuple, frappé d’admiration, les conduisit à l’évêque, celui-ci au patriarche et le patriarche à l’empereur. Les sept Dormants révélèrent les choses du monde les plus singulières, et en prédirent qui ne l’étaient pas moins. Ils annoncèrent, entre autres, l’avènement de Mohammed, l’établissement et les succès de sa religion comme devant avoir lieu deux cents ans après leur réveil. Quand ils eurent satisfait la curiosité de l’empereur, ils se retirèrent de nouveau dans leur caverne et y moururent tout de bon : on montre encore cette grotte auprès d’Éphèse.

    En ce temps, et afin d’assurer l’unité de l’empire autour de la religion officielle, Dèce publia en 249 un édit ordonnant à la population de sacrifier aux dieux tutélaires de l’état. Des commissions locales étaient constituées afin de contrôler l’exécution des sacrifices ; un certificat était alors remis aux personnes qui s’étaient conformées à l’édit, tandis que les réfractaires encouraient des peines sévères (l’exil, la confiscation de leurs biens, la torture ou la mort). La persécution de Dèce ne visait cependant pas uniquement les chrétiens mais également les adeptes des cultes qui n’étaient pas officiels.

    Honorés peut-être d’abord dans l’église grecque et syriaque, puis dans l’église latine, les Sept saints Dormants sont aussi fêtés dans l’église copte et mentionnés dans les livres liturgiques de cette église. Voici ce que rapporte le synaxaire, en usage dans l’église copte, au sujet des Sept Dormants :

    « En ce jour de l’année du seigneur 252 furent martyrisés les sept jeunes saints d’éphèse. Et voici leurs noms : maximus, malcus, martinianus, dyonisius, jean, sérapion et constantin. C’étaient des soldats du roi Dèce, et ils furent désignés pour garder les finances royales. Or les adorateurs des idoles s’efforcèrent de leur nuire auprès du roi et ils (les sept) se réfugièrent dans une caverne de peur de faiblir et de nier le seigneur Christ. Le roi l’apprit et ordonna de fermer sur eux la porte de la caverne. Et l’un des soldats (qui) croyait au Seigneur Christ grava leur histoire sur une plaque de cuivre qu’il laissa à l’intérieur de la caverne. Et ainsi ces saints rendirent (à Dieu) leur âmes pures. Et Dieu voulut les honorer comme ses serviteurs fidèles. Il révéla le lieu (de la caverne) à l’évêque de cette ville (Ephèse) qui s’y rendit, ouvrit la porte, trouva les corps conservés et vit sur la plaque de cuivre ; ils étaient restés là environ 200 ans. C’était au temps du roi Théodose. De même l’on sut qu’ils étaient du temps de Dèce, grâce à quelques pièces de monnaies, à l’effigie du roi, que l’on trouve avec eux. Que leurs prières soient avec nous et gloire au seigneur toujours. Amen. »

    Une version quelque peu différente nous est rapportée par Basset, dans laquelle ce sont les sept eux-mêmes qui s’emmurent au retour du roi dans la ville d’Ephèse, afin de se soustraire à son châtiment. C’est, cette fois, un de leurs amis, sachant leur cachette, qui s’y rend, voit la caverne murée, les croit morts et écrit leur histoire sur une tablette d’airain à l’aide d’un couteau avant de la jeter par une fente dans la caverne.

    Dèce meurt, les empereurs se succèdent jusqu’à Théodose. La 38e année de son règne, des chrétiens se mettent à nier la réalité de la résurrection. Le Seigneur réveille alors les sept saints. L’un d’eux, Maximilien selon certaines versions, se rend à la ville pour acheter de quoi manger – À noter ici que les saints croient n’avoir dormi qu’une seule nuit dans la caverne -. D’abord, la ville lui paraît changée ; les portes arborent des croix chrétiennes, symboles qui n’auraient pu être suspendus de la sorte sous le règne de l’infâme Dèce. Les gens autour de lui juraient par le nom du Messie. Le saint se renseigne et on lui assure de l’identification de la ville où il se trouve avec Ephèse.

    Il remet alors son argent mais, la monnaie en sa possession n’est plus en usage et le marchand l’accuse d’avoir pillé un trésor. Il est livré à la foule dont aucun membre ne le reconnaît. Pire, sa famille est morte depuis longtemps, des étrangers habitent sa maison et aucun homme ni aucune femme ne peut garantir son identité. Il est alors emmené devant l’évêque auquel il raconte son histoire. En compagnie des prêtres et des chefs de la ville, ils se rendent avec Maximus vers la caverne. Une fois arrivés, Maximus raconte à ses compagnons ce qui lui est arrivé, pendant que l’évêque ramasse la plaque de métal attestant de leur histoire et datant l’événement par la même occasion. Tous glorifièrent Dieu et crièrent leur croyance en la résurrection.

    Les sept moururent alors une autre fois. Le roi fit faire pour eux des sarcophages d’or et d’argent, on les laissa dans la caverne et tous repartirent chez eux. La nuit suivante, les saints apparurent en songe au roi et lui intimèrent l’ordre de laisser leurs corps reposer sur la poussière, au prétexte que ceux-ci ne renaissent point de l’or et de l’argent mais de la terre, de la poussière et de la boue. Après cela, les saints bénirent le roi et s’en allèrent. Le roi obéit à l’ordre et scella la caverne de son propre sceau.

    D’autres versions de la légende exposent l’hérésie des Sadducéens, contemporains de Théodose, qui ne croyaient ni en la résurrection, ni aux anges et aux esprits. Ce serait dans ce contexte que la légende des sept aurait pris corps.

    La redécouverte des Sept Dormants dans leur caverne murée aurait cette fois été faite par un homme appelé Adolius, un berger qui aurait souhaité bâtir une bergerie. Les ouvriers de l’homme auraient dégagé l’entrée de la grotte et l’ouvrirent par ce geste, provoquant ainsi le réveil des sept. Ensuite, les versions convergent d’une certaine façon ; les sept envoient l’un d’entre eux (le plus jeune, Constantin, selon certaines versions, l’aîné Maximus selon d’autres) à la ville, chercher de la nourriture. Une version mentionne la discrétion du dormant une fois arrivé en ville, sa tête baissée à dessein d’éviter d’être reconnu et mené à l’empereur qu’il croit être Dèce. Il ne se rend compte de son erreur qu’une fois devant le marchand à qui il remet ses drachmes à l’effigie de Dèce. D’autres certifient que le jeune homme voit immédiatement les croix chrétiennes suspendues ou accrochées à travers la ville.

    Les versions divergent également sur le temps de sommeil des sept : 370 ans et des poussières pour certains, 200 ans pour d’autres, 309 selon le Coran, mais si ils furent bien condamnés par Dèce vers 250 et réveillés à la fin du règne de Théodose vers 448, leur temps de sommeil n’est guère supérieur à 200 ans.

    Les versions divergent encore sur la nature du métal utilisé pour graver la plaque (cuivre, airain, plomb) et sur l’auteur de cette plaque (ami, autre soldat de même confession) et la manière par laquelle elle se retrouva dans la grotte ; certaines racontent qu’elle fut jetée avant emmurement, une autre après, une autre encore qu’elle fut placée dans un coffre de cuivre et déposée elle aussi avant l’emmurement.

    Une autre version est donnée par le manuscrit Cambridge syr.add 2020. Au terme de la comparaison, les nombreuses variantes (significatives et majeures) propres au ms Cambridge Syr. Add. 2020 laissent supposer que ce nouveau témoin représente une tradition distincte de l’histoire des Dormants ; ils sont huit et non plus 7, leurs noms diffèrent également.

    Quoi qu’il en soit, on leur construisit une grande église dans la ville d’Ephèse et le seigneur y fit des miracles en grand nombre. Le culte des Sept Saints Dormants d’Ephèse est parvenu jusqu’en bretagne où ils font l’objet d’un culte islamo-chrétien (depuis 1954, un pèlerinage se déroule notamment chaque 3e dimanche de juillet au Vieux-marché, localité des côtes d’Armor) et dans diverses régions d’Europe.

    On les fête dans l’église catholique allemande le 27 juillet (Siebenschläfertag). Leurs reliques supposées ont été repérées à Rome, en Allemagne, au Luxembourg, en Espagne mais aussi dans la basilique de l’abbaye Saint-Victor à Marseille. À Marmoutiers, près de Tours, une chapelle abrite une crypte avec les sept sarcophages des sept dormants, considérés comme les cousins de saint martin. Dans le Coran, la non-indication de l’origine éphésienne et les conquêtes islamiques a fait naître un culte de proximité dans diverses grottes du Maroc au Turkestan chinois. La légende s’est étendue vers l’occident chrétien et s’est propagée simultanément vers la Syrie, l’Egypte et l’Abyssinie.

    Leurs sept noms ont également été gravés au VIIIe siècle en copte sur les murs d’une chapelle nubienne. Dans leur refus inconditionnel d’abjurer leur foi, les sept dormants figurent aux côtés des nombreux martyrs chrétiens des premiers siècles, ayant défendu leur foi au prix de leur vie. Ils figurent au plus haut rang de l’amour éternel divin, pour s’être abandonnés à Dieu et avoir été l’objet de sa miséricorde.

    À Guidjel en Algérie, près de Sétif, sept piliers romains dans un cimetière sont considérés comme les tombes des Seb’ruqûd (sept dormants) et la huitième celle de leur chien, Kitmir.

    Ce dernier est un animal saint dans la tradition musulmane. Son nom est utilisé en orient sur des sceaux, amulettes, monuments publics et est regardé comme un puissant talisman contre les voleurs et les divers coups du sort qu’on aurait à appréhender. Quant à leur chien Kitmir, dit le Dictiononaire infernal, il acheva sa carrière et vécut autant qu’un chien peut vivre, en ne comptant pour rien les deux cents ans qu’il avait dormi comme ses maîtres. C’était un animal dont les connaissances surpassaient celles de tous les philosophes, les savants et, les beaux-esprits de son siècle; aussi s’empressait on de le fêter et de le régaler ; et les musulmans le placent dans le paradis de Mohammed, entre l’âne de Balaam et celui qui portait Notre Seigneur le jour des Rameaux.

    Les sept sont souvent invoqués pour repousser la fièvre, parfois l’insomnie, en particulier chez les enfants. Le fait qu’ils appartiennent à la tradition chrétienne et musulmane a été récemment mis en lumière, surtout sous l’influence de Louis Massignon, comme un gage de rapprochement, non seulement entre l’orient et l’occident, mais aussi entre les deux religions. En islam, les « gens de la caverne » incarnent les croyants opprimés par une force politique les empêchant de vivre librement leur foi, décidant alors de s’exiler volontairement et de s’en remettre à Dieu. La caverne évoque également le motif de l’exil, et la nécessité de quitter le monde terrestre pour accomplir ensuite une renaissance spirituelle. Elle symbolise l’amour et la miséricorde éternels, gardant vivante toute personne qui se réfugie en eux. Le mont Peion est devenu un lieu de pèlerinage pour chrétiens et musulmans, où ces derniers viennent aussi se recueillir.

    On retrouve les traces d’un récit similaire à celui des Sept Dormants dans les traditions juive, germanique, chinoise, arabe… ainsi que dans la plupart des mythologies. Des sanctuaires leur étant dédiés ont également été érigés du Yémen à la Turquie, de la Syrie à la Scandinavie et jusqu’en Chine. L’histoire des Sept Dormants constitue une invitation à rejoindre ces jeunes croyants dans leur sommeil profond pour s’ouvrir aux sens intérieurs et à la dimension spirituelle de l’homme. Ces dormants constituent un point de rencontre unique entre christianisme oriental, tradition celtique, catholicisme et islam.

    Le thème du sommeil interminable des Sept Dormants fut repris en littérature et dans les arts : La belle au bois dormant, Blanche-neige et les sept nains, Captain america, lequel dort pendant 70 ans avant d’être désincarcéré de sa prison de glace. Ce mythe relève désormais d’un patrimoine universel, immatériel, intemporel et libre de droits, qui a franchi les frontières géographiques, culturelles et cultuelles pour devenir le récit de grandes figures mythologiques berçant nos rêves et notre imaginaire.

    Bibliographie :

    Sourate Al-kahf en français | الكهف (La caverne) | Sourate 18 (le-coran.com)

    Panayır Dağ — Wikipédia (wikipedia.org)

    Histoire d’Ephèse, vestige d’une cité antique flamboyante (histoire-a-sac-a-dos.com)

    Les Sept Dormants d’Éphèse et les « Ahl al-Kahf » – La Revue de Téhéran | Iran (teheran.ir)

    Les sept saints dormants d’Ephèse – Persée (persee.fr)

    Sept Dormants d’Ephèse (carmina-carmina.com)

    27 juin : les Sept Dormants, saints climatiques allemands — Les éditions Bibliomonde

    Kitmir, le chien des sept-Dormants d’Ephèse (croyancesetvilles.fr)

    La légende des Sept Dormants d’Éphèse (la-croix.com)

    SEPT DORMANTS D’ÉPHÈSE – Encyclopædia Universalis

    Vue de Un nouveau témoin de l’Histoire des Sept Dormants d’Ephèse. Le manuscrit Cambridge Syr. Add. 2020. Texte et traduction (uclouvain.be)

    Il était une fois les Sept Dormants d’Ephèse… | Cairn.info

  • Les génies, au départ des traditions religieuses orientales

    Les génies, au départ des traditions religieuses orientales

    Selon le Dictionnaire infernal (p.251, édition 1844), la tradition des anges parvenue altérée chez les païens en a fait des génies. Chacun avait son génie. Un magicien d’Egypte avertit Marc-Antoine que son génie était vaincu par celui d’Octave ; et Antoine intimidé se retira vers Cléopâtre. Les Borborites, secte gnostique des premiers siècles dont le nom fut sans doute attribué par leurs détracteurs, enseignaient que Dieu ne peut être l’auteur du mal ; que, pour gouverner le cours du soleil, des étoiles et des planètes, il a créé une multitude innombrable de génies, qui ont été, qui sont et seront toujours bons et bienfaisants ; qu’il créa l’homme indifféremment avec tous les autres animaux, et que, l’homme n’avait que des pattes comme les chiens ; que la paix et la concorde régnèrent sur la terre pendant plusieurs siècles, et qu’il ne s’y commettait aucun désordre ; que malheureusement un génie prit l’espèce humaine en affection, lui donna des mains, et que voilà l’origine et l’époque du mal.

    L’homme alors se procura des forces artificielles, se fit des armes, attaqua les autres animaux , fit des ouvrages surprenants, et l’adresse de ses mains le rendit orgueilleux ; l’orgueil lui inspira le désir de la propriété, et de posséder certaines choses à l’exclusion des autres ; les querelles et les guerres commencèrent ; la victoire fit des tyrans et des esclaves, des riches et des pauvres. Il est vrai, ajoutent les Borborites, que si l’homme n’avait jamais eu que des pattes, il n’aurait point bâti des villes, ni des palais, ni des vaisseaux ; qu’il n’aurait pas couru les mers; qu’il n’aurait pas inventé l’écriture, ni composé des livres ; et qu’ainsi les connaissances de son esprit ne se seraient point étendues ; mais aussi il n’aurait éprouvé que les maux physiques et corporels, qui ne sont pas comparables à ceux d’une âme agitée par l’ambition, l’orgueil, l’avarice, par les inquiétudes et les soins pour élever une famille, et par la crainte de l’opprobre, du déshonneur, de la misère et des châtiments.

    Aristote observe que l’homme n’est pas supérieur aux animaux parce qu’il a une main ; mais qu’il a une main parce qu’il est supérieur aux animaux. Les Arabes ne croient pas qu’Adam ait été le premier être raisonnable à avoir habité la terre, mais seulement le père de tous les hommes actuellement existants. Ils pensent que la terre était peuplée, avant la création d’Adam, par des êtres d’une espèce supérieure à la nôtre ; que dans la composition de ces êtres , créés de Dieu comme nous, il entrait plus de feu divin et moins de limon.

    Ces êtres , qui ont habité la terre pendant plusieurs milliers de siècles, sont les génies, qui ensuite furent renvoyés dans une région particulière, mais d’où il n’est pas impossible de les évoquer et de les voir paraître encore quelquefois, par la force des paroles magiques et des talismans. Il y a deux sortes de génies, ajoutent-ils : les Péris, ou génies bienfaisants, et les Clives, ou génies malfaisants. Gian-ben-gian, du nom de qui ils furent appelés ginnes ou génies, est le premier comme le plus fameux de leurs rois.

    Le Ginnistan est un pays de délices et de merveilles , où ils ont été relégués par Taymural, l’un des plus anciens rois de Perse. — Ce sont encore là des vestiges altérés de l’ancienne tradition. En Mésopotamie, les génies sont communément des créatures apotropaïques, c’est-à-dire des figures et représentations utilisées pour repousser le mal en l’espèce des mauvais génies, démons et autres mauvais esprits. Ces représentations étaient fréquemment placées près des portes et des fenêtres pour en écarter le mal.

    On pense ici aux célèbres taureaux ailés, monumentaux gardiens des portes palatiales dont la fonction était autant de repousser le mal que de promouvoir la puissance et la richesse des rois dès l’entrée du palais. D’autres génies apparaissent sur les bas-reliefs de part et d’autre de l’arbre sacré sous la forme de thérianthropes. Ce sont usuellement les génies chargés de bénir les rois grâce à une action consistant à récolter le pollen ou le suc de l’arbre sacré au moyen d’une pomme de pin, la plonger dans une situle (sorte de seau) et à asperger les rois de ce liquide par le même geste effectué par les prêtres.

    Mais les génies, traditionnellement, ne sont pas tous bienfaisants. De mauvais génies existent, lesquels comme on s’en doute agissent contre l’intérêt des hommes. Et ces génies, bons et mauvais, ne relèvent point, par définition, d’un caractère spirituel insaisissable car des hommes peuvent tout à fait incarner le bon ou le mauvais génie d’une autre personne. Ces anges ambivalents influent, par leurs conseils ou leur exemple, sur la vie d’une personne qui les tient en admiration ou dans une moindre mesure dont les conseils et/ou les exemples ont quelque poids psychologique.

    Par extension acceptive, un génie est une personne dotée de sens presque surnaturels, d’un talent exceptionnel et extraordinaire dans une ou plusieurs disciplines étroitement liées ou non. Une être génial remarquable laisse son empreinte sur le monde et son entourage, même si ce n’est qu’à titre posthume. Incompris ou transparent, un génie démontre de grandes qualités intellectuelles, artistiques, créatives et inventives selon les définitions les plus basiques. Ce sont des esprits d’une qualité supérieure proprement étonnants par leur rayonnement et leur influence sur les autres.

    Pour plus de publications sur le Proche-Orient ancien suivre : @LJAnthonyHalley (twitter).

    Bibliographie :

    – Dictionnaire infernal de Collin de Plancy (1844) p.251 à 252.

    Glossaire | Orient cunéiforme (culture.gouv.fr)

    génie — Wiktionnaire (wiktionary.org)

  • La figure du Diable dans les Ecritures et la pop culture

    La figure du Diable dans les Ecritures et la pop culture

    Depuis des millénaires, le diable est sujet de croyances religieuses et superstitieuses. Mais qui est-il ? Quel est son nom et son pouvoir véritables ? Nous tenterons de répondre à ces questions dans ce nouvel article.

    I. Onomastique

    Avant de nous intéresser à son histoire, commençons par étudier les divers anthroponymes employés pour désigner le « diable » et leurs étymologies, à savoir Diable, Satan, Lucifer et Méphistophélès.

    « Diable » provient du grec « diabolos » signifiant « celui qui divise ». Le terme Satan apparaît d’abord dans la Bible hébraïque sous la forme śāțān signifiant « ennemi, opposant ». Le nom Lucifer quant à lui est composé de deux mots latins : lux (« lumière ») et du verbe ferre (« porter »), signifiant par là quelque chose comme le « porteur de lumière, le porte-lumière », nous verrons plus loin comment décoder ce nom.

    Méphistophélès est le nom du diable dans l’oeuvre Faust de Goethe et signifierait « celui qui n’aime pas la lumière ».

    II. Histoire du diable

    Passons maintenant à la plus longue partie de cet article où on abordera des points connus et d’autres méconnus, c’est là tout l’intérêt de cette étude.
    La question première est qui était la personne, l’entité mythologique devenue roi des enfers ? Ouvrons la Bible pour, peut-être, le découvrir.

    Le premier extrait, issu de la Genèse, montre le premier Satan des Ecritures, le premier opposant de Dieu : le serpent. C’est un véritable Diable (celui qui divise), tentateur des deux humains originels qu’il pousse à commettre le premier péché : prendre conscience de soi et de sa nudité. Oui, c’est après cette première expérience gustative qu’Eve et Adam se couvrent les parties génitales/intimes de feuilles.

    Ils ont mangé le fruit de l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal, sa nature ou son espèce, pomme, poire, pêche, importe peu. Mais… pourquoi le serpent a-t-il agi ainsi ? C’est vrai, quel avantage personnel tire-t-il de cette situation ?
    Je crois pouvoir affirmer, grâce à Wéman dans « D’Adam à Abraham » p. 102 à 105, que le serpent n’est que l’allégorie des interrogations de la Femme : « Dieu a-t-il interdit de manger de tous les arbres ? Si oui, pourquoi ? Je ressens l’envie irrépressible de goûter aux fruits de cet arbre interdit. »

    Cela signifierait que le serpent désigné comme l’animal le plus rusé de tous, l’est car l’Homme est le serpent et vice-versa. Si l’on suit cette théorie, le véritable diable, le Satan, c’est notre curiosité intellectuelle elle-même ! Mais laissons là cette hypothèse et repartons fouiner dans la Bible avant, peut-être d’y revenir.

    Dans plusieurs passages bibliques, le nom Satan est attribué aux adversaires humains oppresseurs des Juifs : II Samuel 19, 23 : dans ce passage, Satan est un adversaire humain du roi David. Dans I Rois 11, 14, Yahweh suscite des adversaires humains à Salomon (l’Edomite Hadad), dans I Rois 5, 18, Yahweh le libère de ce Satan ; « Maintenant Yahweh mon Dieu m’a donné la tranquillité alentour : je n’ai ni adversaire ni contrariété du sort ».

    Dans I Macchabées 1, 36, Yahweh suscite aux Juifs l’adversité par l’envoyé du roi Antiochus : « Ce fut une embuscade pour le lieu saint, un adversaire maléfique en tout temps pour Israël ». Dans le Livre des Nombres (22, 23), le nom de l’ange qui vient barrer la route du prophète Balaam peut être lu en hébreu comme « Satan » au sens où il obstrue, même si la lecture hébraïque n’est pas assurée. C’est dans l’Apocalypse (12, 7-9) que l’on voit une assimilation claire du diable au serpent de la genèse et que la bataille céleste a lieu : on pourrait croire que ce diable, ce Satan, ce dragon était un ange de Dieu et que suite à cette bataille il serait considérable en tant qu’ange déchu. Eh bien pas tout à fait car le dragon décrit dans ce passage est bel et bien un dragon en chair et en os et on pourrait croire qu’il s’agit d’une métaphore désignant un être puissant, ailé et finalement déchu de son poste.

    Nous pourrions avancer deux hypothèses concernant l’identité des anges épaulant le dragon et ayant été précipités avec lui :

    1) de simples « messagers », valets, sous-fifres attachés au mot dragon, basé sur l’étymologie du mot « Ange » < angelos (messager). Ou d’une simple analogie avec les multiples têtes.

    2) de vrais anges autrefois alliés de Dieu.

    Une recherche rapide confirme cette seconde hypothèse et met en relief une certaine nuance : celle selon laquelle certains anges à l’esprit rebelle auraient profité de l’occasion pour se rallier au dragon. Analysons maintenant l’identité de ce dragon. Ce « signe » qui semble sorti de nulle part. Le type spécial des versets bibliques nous pousse à le considérer non pas comme un simple dragon mais comme étant l’assimilation stylistique avec un personnage humain.

    Attardons nous avant tout sur l’identité de la femme ici décrite ; selon le chapitre 37 de la Genèse, les douze étoiles que la femme porte en couronne font référence aux douze tribus d’Israël. Cette femme est protégée par Dieu à plusieurs reprises, et dans l’Ancien Testament, Dieu parle de Son peuple comme d’une femme très belle. L’enfant est décrit comme devant « paître toutes les nations avec une verge de fer » (verset 5). Jésus est celui qui, d’après les prophéties, doit « frapper toutes les nations ; il les paîtra avec une verge de fer » (apocalypse 19:15). Cet enfant est donc Jésus et l’acharnement du dragon à vouloir s’en prendre à un enfant nouveau-né rappelle un épisode de la Bible selon lequel un roi nommé Hérode, ayant appris la naissance de Jésus, aurait envoyé son armée le tuer quand il n’était encore qu’un enfant (Matthieu 2:13:18) ; l’allusion historique aux efforts d’Hérode est facile et plausible.

    En cela, Satan est (ici encore) un humain qui s’élève contre Dieu et Sa Volonté, à saboter Son plan et entraînant avec lui toute une armée d’hommes, ses « anges » qui l’aident à accomplir son vil dessein. Dans Esaïe (14), la Bible révèle que Satan a tenté d’élever son trône contre Dieu lors de laquelle il a essayé d’élever son trône au-dessus des étoiles de Dieu, cherchant à devenir semblable à Lui. Mais il s’agit ici sans doute d’une référence au roi de Babylone et de manière vraisemblable, à la tour de Babel. Après son échec, il est, selon la Bible, précipité dans le séjour des morts mais rien n’indique qu’il en devient le roi, au contraire, il est traité comme un moins que rien, lui qui « réduisait le monde en désert, ravageait les villes et ne relâchait point ses prisonniers ».

    C’est dans le chapitre 4 de l’apôtre Matthieu (4 1-11) que Jésus lui-même est tenté, lorsque l’Esprit saint le transporte dans le désert afin de le soumettre à la plus dure des tentations. Il est tenté par une chose appelée le diable qui ne semble pas être un quelconque ange déchu mais dont la nature et l’identité n’est guère précisée. Nous pensons pertinent d’identifier ce diable à la part humaine de Jésus, celle dont la faillibilité entraîne des pensées tourmenteuses et le pousse à désobéir à la parole de Dieu, celui-ci ne lui ayant pas permis d’user de ses pouvoirs pour transformer des pierres en pains (verset 3) ni de tester Sa toute-puissance et Sa loyauté (verset 6). Nous verrons plus loin si il est justifié de conserver cette hypothèse ou si il nous faudra au contraire l’écarter. Une phrase citée dans le commentaire de ce passage sur le site de la « bible et publications chrétiennes » nous permet de voir cette hypothèse comme étant sinon la seule valable, la plus vraisemblable : « chaque fois que nous convoitons et acceptons dans ce monde une place ou un bien qui ne vient pas de la main du Père, nous nous courbons devant le diable qui nous le donne. ». C’est-à-dire, ici, que toutes les offres du « diable », celui qui cherchait à diviser la nature humaine et la nature divine de Jésus en poussant la nature humaine à désobéir à Dieu, sont inacceptables pour Jésus qui identifie ces aspirations à satisfaire la chair au diable !

    Les versets 5 à 10 sont aisés à expliquer pour quelqu’un qui souhaiterait prouver que le diable tentateur de ce passage serait bel et bien une entité « de chair et d’os ». Mais, Jésus se serait-il vraiment laissé « transporter » par la vile créature qu’eut été le diable ? Par deux fois ? Le doute est permis. Ne se serait-il pas déplacé de lui-même, tiraillé par la faim, la soif, les pensées noires, peut-être suicidaires, et aurait résisté à la première tentation de tester Dieu, puis à la seconde de régner en maître sur les hommes en se remémorant la Parole ? Peut-être faisons-nous erreur mais le verset 11 laisse peu de doutes quant à la victoire de Jésus sur le diable, que nous ne pouvons croire autre que l’allégorie de pensées tentatrices.

    La suite de cet exposé nous le prouvera sûrement. Le verset 14 de 2 Corinthiens « et il ne faut pas s’en étonner, car Satan lui-même se déguise en ange de lumière », que nous ne pouvons dissocier du verset précédent : « Car de tels hommes sont de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, déguisés en apôtres de Christ », peut, selon le site Levangile, se comprendre de la manière suivante : il s’agirait d’une allusion non pas à une véritable apparence externe mais à l’air douceâtre qu’adoptent tous les diables et les satanés tentateurs, diviseurs, en commençant par le serpent, le premier de tous, et, comme l’explique le commentaire biblique, à la tentation de Jésus dans le désert, lorsque le Satan, sous des apparences de sainteté et de bienveillance, prêcha la désunion. À noter que dans ce passage, le Satan revêt encore une fois une apparence humaine.

    Nous nous attarderons sur le passage hautement intéressant qu’est Éphésiens 6.12, celui-ci semblant discréditer notre théorie selon laquelle le diable, le satan ne serait que la corruption naturelle de l’homme, sa propension à pécher, mais qui expose au final, par d’habiles métaphores que nous décortiquerons, une théorie semblable à la nôtre : versets 11 à 12 : « Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, afin que vous puissiez résister aux artifices du diable ; parce que ce n’est pas contre le sang et la chair que nous avons à combattre ; mais c’est contre les principautés, contre les puissances, contre les dominateurs de ces ténèbres, contre les esprits méchants, dans les lieux célestes ». Ce passage explique que ce n’est pas seulement la nature déchue de l’homme (« sang et la chair ») dans laquelle règne le péché que nous devons combattre et qu’elle n’est pas seule à incarner le diable, les grandes structures de pouvoir étant une des deux autres catégories.

    L’expression « dominateurs de ces ténèbres » est, selon le commentaire relatif sur le site de Levangile, à rendre par l’expression « dominateurs mondains ou universels de ces ténèbres » c’est-à-dire qu’ils dominent sur le monde et que leur règne versé dans le péché et les plaisirs dispensables est un règne de ténèbres. La dernière catégorie, qui est à notre avis intimement liée à la troisième précédemment citée, est celle des esprits méchants, en grec « choses spirituelles de la méchanceté » qui sont dans les lieux célestes, ce qui ne veut point dire le ciel lui-même mais les régions supérieures à la terre, situées à partir de la surface. Par cette désignation, nous dit Levangile.com, Paul veut donner une idée plus grande de la puissance du règne du démon dont l’action n’est bornée à aucun lieu spécial de notre terre. Revenons un instant sur l’étymologie du mot « démon » ; daimon en grec signifie quelque chose comme « divinité, esprit, génie (bon ou mauvais) » qui devient dans la religion chrétienne une entité maléfique.

    Dans ce passage des Éphésiens, le terme est donc bien à comprendre comme étant la désignation d’un mauvais esprit. Le mauvais esprit le plus pertinent à l’étude ici porte le nom d’Azazel. Trois théories débattues tentent d’expliquer l’identité véhiculée par ce terme ; est-ce le nom propre d’un démon, est-ce celui d’un concept, est-ce un toponyme ? Nous analyserons ici les trois théories et exposerons les arguments favorables à l’une ou à l’autre sans émettre de conclusion tranchée, préférant laisser le lecteur s’en faire sa propre opinion. Le nom Azazel apparaît au verset 8 du chapitre 16 du Lévitique : « Il tirera au sort entre les deux boucs : l’un sera pour l’Éternel et l’autre pour Azazel », au verset 10 du même chapitre « le bouc tiré au sort pour Azazel sera placé vivant devant l’Éternel, afin de servir à faire l’expiation et d’être lâché dans le désert pour Azazel » et au verset 26 : « Celui qui aura chassé le bouc pour Azazel lavera ses vêtements et lavera son corps dans l’eau ; après cela, il rentrera dans le camp. ». La Vulgate traduit ce nom par « émissaire » mais pour le site Levangile.com, « le texte fait d’Azazel un nom propre, qu’on ne saurait attribuer au seul bouc servant d’émissaire pour laver les péchés des Israélites car d’après le verset 8 susmentionné, l’un des boucs est pour Dieu, l’autre pour Azazel, ce qui ferait de lui une entité vivant dans le désert, peut-être le tentateur de Jésus.

    Le commentateur continue en disant que « de nos jours, on incline à penser qu’Azazel représente un être satanique, un prince des esprits malfaisants qui, d’après les Sémites primitifs, résidait dans les lieux solitaires et désolés. Ces croyances démonologiques, courantes chez beaucoup de peuples antiques, ne sont malheureusement pas faciles à déceler en Israël. Peut-être y survivaient-elles à l’état de vestiges et servirent-elles à exprimer l’idée que les péchés et les maux des hommes procèdent d’une personnalité ou d’une puissance hostile à Jahveh et que leur élimination implique leur renvoi à l’auteur ou à la source d’où ils émanent. Quant à l’idée que ces péchés et ces maux pouvaient être transférés à des animaux vivants, elle fut partagée par les Sémites et les Hébreux eux-mêmes ; cette translation de la coulpe s’étendait aux oiseaux et à d’autres bêtes. ». Un article sur le site Cairn.info relatif au livre de Mary Douglas « Le bouc qui s’en va » nous livre d’autres informations, dont les trois théories soutenant les diverses identifications au terme Azazel ; il est expliqué que le mot « aza-zel » est composé de la contraception de « ez », bouc, et de « azal », s’en aller, c’est ce qui donne « le bouc qui s’en va ». « Dans les Septante ou la Vulgate, en accord avec la tradition rabbinique, cette étymologie a justifié l’interprétation d’Azazel simplement comme le bouc qui s’échappe, soit le bouc émissaire.

    Cependant, en hébreu, il n’y a pas de composés qui ne soient pas des noms propres. Reconnaissant ce fait philologique, « Azazel » est épelé en anglais comme un nom propre, avec une majuscule. Pour cette seule raison on a émis l’hypothèse qu’il doit désigner le nom aussi bien d’une personne que d’un lieu. Voici les trois interprétations possibles :

    La première est la plus simple : le bouc choisi pour s’échapper est dénommé du nom « le bouc qui s’en va », c’est-à-dire Azazel. Selon Levine, cette interprétation est présente dans les Septante et la Vulgate et sous-tend la signification du « bouc expédié », si bien rendu par le français « bouc émissaire », et en anglais par « scapegoat ». Pour la seconde interprétation, Azazel est le nom d’un lieu du désert, habitat des démons. La troisième enfin voit en Azazel le démon, maître du désert, (mais pas forcément de tous les démons, comme nous le verrons plus loin). La préférence de Levine va à la troisième interprétation : le diable dans le désert. D’ailleurs c’est la plus acceptée aujourd’hui. Mais, cette solution du mystère du nom propre en introduit encore un autre. On se demande pourquoi le livre du Lévitique – qui s’inscrit profondément contre la démonologie – montre Aaron en train d’envoyer un messager, ou pire, un cadeau, au grand démon Azazel ? Une interprétation qui fonctionnerait du point de vue philologique sans avoir recours à l’étrange démon du désert serait plus satisfaisante. S’il est permis de faire fi de deux mille ans de réflexion, alors, pour un minimum de cohérence, la préférence anthropologique pencherait vers la première interprétation, pas une région désertique, pas un démon puissant, simplement un nom propre donné au bouc. La description que donne Lévine du système de désignation par le sort, verset 8, renforcerait cette solution. Il aurait dû y avoir deux pierres pour le tirage au sort, chacune inscrite d’un nom, l’une avec l’inscription « pour le seigneur » ou « appartenant au Seigneur », et l’autre « pour Azazel ou « appartenant à Azazel ». Cela correspondrait à l’assignation d’un animal pour un sacrifice de manière formelle et nominative. Le Sifra cité par Rashi explique la procédure comme suit :

    « Quand il (le grand prêtre) place le lot sur lui (le bouc) il lui donne un nom et un statut, pour le seigneur en rémission des péchés ». »

    Cette explication se heurte à la tournure des versets 10 et 26 qui semblent mentionner explicitement que le bouc serait une offrande à une personne. À moins que ces tournures particulières soient à comprendre de la sorte : pour (faire) Azazel, pour (jouer le rôle d’) Azazel. Ces deux corrections auraient le mérite de permettre à ce chapitre biblique de ne point dévier de la ligne anti-démon du Lévitique. Car, si nous devions garder cette ligne en tête, nous serions obligés de croire le bouc Azazel constituant non pas une offrande mais un mauvais sort ambulant destiné à une entité malfaisante dénommée Azazel. Envisageons cette possibilité et tentons de trouver des éléments qui pourraient la soutenir de manière crédible et fiable. C’est dans le livre non-canonique d’Enoch (1-16) que nous dénichons plusieurs informations cruciales allant dans le sens de l’interprétation selon laquelle Azazel est bel et bien un démon, un esprit, nous verrons quelle peut son apparence et surtout celle de l’empereur de l’Enfer à la partie IV.

    Le livre d’Enoch nous livre les versets suivants : 6. « Et il arriva, lorsque les fils des hommes eurent augmenté (en nombre), qu’en ce temps-là naquirent de belles filles. Et les Anges, les fils du Ciel, les virent et les désirèrent. Et ils se dirent : « Venez, choisissons pour nous-mêmes des épouses, parmi les enfants des hommes, et engendrez, pour nous-mêmes, des enfants. » et Sémyaza, qui était leur chef, leur dit : « Je crains que vous ne souhaitiez pas que cet acte soit fait, et que moi seul paierai pour ce grand péché. ». Et ils lui répondirent tous, et dirent : « Prêtons tous serment, et attachons-nous les uns aux autres par des malédictions, afin de ne pas modifier ce plan, mais de le mettre en œuvre efficacement. ». Ensuite, ils ont tous juré ensemble, et tous se sont liés les uns aux autres, avec des malédictions, à elle. Et ils étaient, en tout, deux cents, et ils sont descendus sur Ardis, qui est le sommet du mont Hermon. Et ils appelèrent la montagne Hermon, parce qu’ils y juraient, et se liaient les uns les autres avec des malédictions. Et voici les noms de leurs chefs : Semyaza, qui était leur chef, Urakiba, Ramiel, Kokabiel, Tamiel, Ramiel, Daniel, Ezequiel, Baraquiel, Asael, Armaros, Batriel, Ananel, Zaquiel, Samsiel, Sartael, Turiel, Yomiel, Araziel. Ce sont les dirigeants des deux cents Anges, et de tous les autres avec eux. »

    Faisons ici une ellipse afin d’aborder le sujet d’Azazel : 8 : « Et Azazel enseigna aux hommes à fabriquer des épées, des poignards, des boucliers et des cuirasses. Et il leur montra les choses après celles-ci, et l’art de les fabriquer ; bracelets et ornements, et l’art de maquiller les yeux, et d’embellir les paupières, et les pierres les plus précieuses et de choix, et toutes sortes de teintures colorées. Et le monde changea. Et il y eut une grande impiété, et beaucoup de fornication, et ils s’égarèrent, et toutes leurs voies devinrent corrompues. Nouvelle ellipse jusqu’au verset 9 : vois alors ce qu’Azazel a fait : comment il a enseigné toute l’iniquité, sur la Terre, et révélé les Secrets éternels qui ont été faits au Ciel ».

    Le site de l’institut d’études du judaïsme expose qu’« Azazel est le dixième des anges déchus et l’un des démons les plus célèbres dans la tradition juive. Il aurait appris aux hommes le maniement des métaux pour la fabrication des armes et des bijoux, les poussant dans la voie de la corruption, l’impiété et l’avidité, raison pour laquelle il sera destiné à l’expiation des péchés et à l’enchaînement éternel. Le récit le concernant est d’ailleurs à l’origine de l’expression « bouc émissaire ». ». Selon le même site, il serait bien le seigneur des ténèbres du désert.

    Revenons un instant au livre d’Enoch : 10 : « Et plus loin, dit le Seigneur à Raphaël, liez Azazel par ses mains et ses pieds et jetez-le dans les ténèbres. Et fendez-vous le désert, qui est à Dudael, et jetez-le là. Et, jetez-lui des pierres déchiquetées et tranchantes, et couvrez-le de ténèbres. Et qu’il y reste pour toujours. Et couvrez son visage pour qu’il ne voie pas la lumière. Et pour que, le Grand Jour du Jugement, il soit jeté dans le feu. ». Plus loin, verset 12 : « […] Et voici, les Gardiens m’ont appelé, Enoch le scribe, et m’ont dit : Enoch, scribe de la justice, va informer les Gardiens du Ciel, qui ont quitté le haut ciel et le saint lieu éternel, et se sont corrompus avec les femmes, et ont fait comme les fils des hommes, et ont pris des femmes pour eux-mêmes, et sont devenus complètement corrompus sur la terre.

    Ils n’auront sur Terre, ni la paix, ni le pardon des péchés […] le massacre de leurs bien-aimés qu’ils verront ; et sur la destruction de leurs fils, ils se lamenteront et demanderont pour toujours. Mais ils n’auront ni pitié ni paix. » Les anges semblent demander à Enoch de rédiger le compte-rendu de leur pétition, et de leur supplication en ce qui concerne ce qu’ils demandaient ; l’absolution et la tolérance. Enoch regrette au verset 14 : « et j’ai écrit votre requête, mais dans ma vision, il est apparu que votre pétition ne vous serait pas accordée, pendant tous les jours de l’éternité ; et un jugement complet a été décrété contre vous, et vous n’aurez pas la paix. Et à partir de maintenant, vous ne monterez pas au Ciel, pour toute l’éternité, et il a été décrété que vous devez être liés, sur la terre, pour tous les jours de l’éternité. ». Au verset 15 : « Pourquoi avez-vous quitté le Ciel Haut, Saint et Éternel, et vous êtes-vous allongés avec les femmes, et êtes-vous devenus impurs avec les filles des hommes, et avez-vous pris des femmes pour vous-mêmes, et fait comme les fils de la Terre, et engendrer des fils géants ? Et vous étiez spirituels, saints, vivant une vie éternelle, mais vous êtes devenus impurs sur les femmes, et vous avez engendré des enfants par le sang de chair, et convoité le sang des hommes, et produit de la chair et du sang […]. »

    La suite laisse entendre que les esprits mauvais jaillissent des corps de la progéniture issue des anges déchus et des femmes humaines par eux ensemencées et que ces esprits font le mal, sont corrompus, attaquent, combattent, se brisent sur la Terre, causent du chagrin et se lèvent contre les fils des hommes et contre les femmes (verset 15). De plus, on remarque dans cet extrait que les noms propres des anges terminent presque tous en -el, terminaison qui signifierait « dieu », et indicateur fiable de l’appartenance d’un esprit à un domaine ou à l’autre : Gabriel, Raphaël, Azazel. L’étymologie de ce nom pouvant être expliquée de cette manière, nous pouvons envisager que ce démon en soit un à part entière et non, uniquement, un concept. Nous devons également mentionner une dernière information qui servira la compréhension du lecteur concernant le fait de nous être autant attardés sur le nom d’Azazel ; dans la tradition islamique, Azazel est considéré comme le nom de Satan avant d’être banni du ciel, le Sheitan, ce serait lui et aucun autre démon. L’empereur de l’Enfer, le démon – père, si nous osons, étant selon toute vraisemblance confiné dans sa citadelle ou toute autre demeure infernale qu’il ne quitterait guère sinon fort peu. Du moins cette croyance est entretenue dans la branche chiite de l’islam, la branche sunnite se contentant de considérer Azazel comme un mauvais génie, un « djinn » qui aurait autrefois adoré Allah. En tant que conclusion de cette partie III, nous pouvons émettre l’hypothèse que les esprits maléfiques existent bel et bien, quoique impalpables, et que les hommes détiennent les moyens de les invoquer. Aventurons-nous donc sur le chemin tortueux, obscur et incontestablement mystérieux de la possession des humains par les démons et de la démonologie.

    III. Croyances relatives au culte du démon, à la possession et identité de l’empereur de l’enfer.

    Nous l’avons dit plus haut, les puissances spirituelles maléfiques citées dans le verset 12 du chapitre 6 des Éphésiens représentent des forces paranormales que les passionnés du monde entier tentent d’étudier. Les cas de possession historiques sont parfois difficilement réfutables par des analyses rationnelles et les livres d’invocations de démons et de forces maléfiques sont foison. Quelques-uns ne méritent pas d’attention et de reconnaissance particulières, le contenu de d’autres de ces grimoires feraient trembler de peur le lecteur non averti qui s’empresserait de refermer ce livre avant de piquer une tête dans l’eau bénite.

    Dans tous les cas, ce sont des forces avec lesquelles il ne faut pas jouer !

    Les rituels dont nous avons pris connaissance demandent d’infinies précautions et mesures de sécurité afin de se préserver soi-même des représailles, souvent néfastes, de ces forces pratiquement incontrôlables. Sont-ce des anges déchus, des esprits, des génies dégénérés ? Sur ce point, nous devons nous avouer bien incapable de répondre, et ce même si le démon en chef est décrit dans les dictionnaires et les principaux livres qui en parlent comme un ange déchu, peut-être est-ce l’ange de Yahweh qui prenait un malin plaisir à parcourir le monde et à se présenter quelque fois au royaume de Dieu, histoire de faire acte de présence et éventuellement brouiller les pistes. La médiumnité, la voyance, l’exorcisme, sont des sciences occultes pratiquées par de nombreux charlatans mais quelques-uns sont bel et bien capables d’entrer en contact avec des forces plus ou moins sournoises et dangereuses.

    De tous temps, les hommes ont tenté de se prémunir des effets délétères de ces forces, y compris les Mésopotamiens qui utilisaient nombre d’amulettes réputées magiques et protectrices contre, par exemple, la démone Lamaštu, celle qui s’en prenait aux femmes enceintes et aux nouveaux-nés. Mais il ne s’agit pas là d’une pratique propre et enclavée en Mésopotamie, ni même éteinte de nos jours ; les amulettes, grigris, et autres accessoires destinés à se protéger du « mauvais œil », de l’influence maléfique et des possessions sont monnaie courante. C’est là aussi une fonction de la superstition ; se prémunir des forces du mal capables de nous détruire de l’intérieur. Nous allons ici aborder des thèmes sensibles alors voici quelques précisions utiles : nous ne cherchons pas à convaincre ni à persuader mais à exposer des résultats pertinents de recherche et à faire progresser la connaissance de ce sujet presque tabou qu’il nous semblait intéressant d’éclairer. Nous développerons ci-après les sujets du satanisme, de la démonologie, de la possession avant de passer à la partie IV qui tentera d’expliquer l’apparence visible du diable et ses diverses représentations dans quelques œuvres choisies de pop culture. Le débat sur nos interprétations est toutefois ouvert.

    III.1 Satanisme et culte démoniaque

    III.1.1 Définitions du satanisme et satanisme littéraire

    Par définition, le satanisme renvoie au type de culte rendu à Satan, cru l’empereur des démons, celui aux pieds duquel même les rois des enfers, dont Azazel, s’aplatissent. Il existe plusieurs types de cultes sataniques mais avant de les décrire de manière concise, nous pouvons dès à présent présenter une des définitions du satanisme comme étant également une manière d’être, l’attrait pour le mal, la volonté d’outrager le bien, le sacré, la morale, définition tirée du site du CNRTL. Le satanisme, c’est aussi le fait de prendre pour sujet ce qui touche à Satan, aux démons, de peindre le mal, les vices, autant dans la littérature que dans l’art absolu. Nous nous limiterons ci-après à la définition religieuse et cultuelle qui admet pour objet la pratique de la magie noire et la conduite de rituels tout aussi rigoureux qu’inquiétants mentionnés au début de ce chapitre. Nous croyons pertinent de placer la balise génésiaque du culte satanique à Byron dans son « Caïn » (1821) qui tend à présenter un Satan ami des hommes, même si les prémices de ce mouvement sont visibles dès 1793 avec « Le Mariage du Ciel et de l’Enfer » de William Blake. Selon Max Milner dans son article sur le sujet publié sur le site de l’Encyclopedia universalis, dans Caïn, « l’argumentation de Lucifer (encore lui !) tend à démontrer que la création est un acte égoïste de Dieu qui a, pour son plaisir, attaché « une haute pensée à une masse servile de matière, afin de régner solitaire sur un univers plongé dans la souffrance.

    La cause des démons rejoint donc celle des hommes », en cela que les hommes souhaitent se rapprocher de leur nature spirituelle alors que le monde extérieur fait faute. Leconte de Lisle fait de Satan, dans son poème « Tristesse du diable », le premier rêveur, la plus vieille victime contre l’absolutisme politique. Avec les révolutions humaines contre les tyrannies, le rôle qui lui est assigné se transforme ; il prend dès lors en charge les appétits du corps, l’aspiration humaine au bonheur terrestre, c’est-à-dire que les péchés n’en sont plus, mais seulement des façons de supporter la vie, ses aléas, de soulager les malheurs qui en ponctuent le chemin et de lutter contre l’oppression. « C’est dans le même esprit que Proudhon fera de Satan le symbole des victimes des oppresseurs, et que Michelet s’efforcera de démontrer dans « La Sorcière » (1862) que le culte de Satan était une revanche du peuple, et notamment de la femme, contre les humiliations que leur imposait la société féodale, et l’expression instinctive d’une confiance dans les forces de la nature qui s’épanouira plus tard durant la Renaissance », nous explique Milner qui poursuit son argumentation en soulignant qu’une des particularités littéraires du satanisme est de s’être toujours tenu à grande distance du satanisme « vécu », car les adeptes de cette littérature ne tempèrent leur pessimisme par aucun recours à une transcendance qui compenserait les échecs et les souffrances d’ici-bas.

    Si l’esthétique de Baudelaire comporte bien d’autres dimensions, le tranchant de son satanisme rejoint celui du satanisme prométhéen. Placées sous l’invocation de cette entité génératrice de négativité qu’est l’Ennui, Les fleurs du mal montrent que la poésie vient d’une blessure infligée à l’être, qu’elle s’inscrit dans un vide prélevé sur le tissu compact des choses. Mais – et c’est là qu’intervient le génie de Baudelaire – cette blessure parle, comme on ne l’avait peut-être jamais fait auparavant. Elle parle de cette harmonie entre l’homme et le cosmos qui n’est perceptible qu’au prix de la dissonance introduite par le mal. Il serait parfaitement abusif de porter au compte de Satan tout ce qui, dans la littérature et dans l’art « décadent », vise à magnifier le mal, à revivifier par le culte d’une antinature des sensibilités blasées. Demeure l’idée, qui affleure çà et là tout au long du XIXe siècle, que l’artiste a partie liée avec le diable – idée qu’André Gide reprendra au début du XXe siècle en affirmant qu’il n’y a pas d’œuvre d’art qui vaille sans la collaboration du démon.

    Rêver d’être plus artiste que Dieu comme le dit Philothée O’Neddy dans « Feu et flamme », procède certes d’un orgueil qu’on peut d’autant plus facilement qualifier de satanique que les Pères de l’Église voyaient dans le diable le « singe de Dieu ». Pourtant, cette rivalité n’a rien de troublant tant qu’elle vise à créer une beauté idéale dans laquelle l’artiste met le meilleur de lui-même. Il en va tout autrement quand l’étincelle créatrice prend naissance dans les dessous obscurs de l’être humain. Le démonique goethéen n’a certes pas la négativité du diabolique. Il tend, comme l’œuvre de Goethe tout entière, vers la lumière. Mais les tentations incarnées par Méhpistophélès, toutes conformes qu’elles soient au plan divin, n’en sont pas moins nécessaires pour que Faust prenne la pleine mesure de son être. ». Ce satanisme procède souvent d’une prise de conscience selon laquelle le réel, anguille visqueuse, glisse entre les doigts de ses adeptes. On pourrait creuser cette idée et l’étendre au désespoir impuissant qui naîtrait en chaque personne se sentant abandonnée par Dieu, voyant sa vie ruer dans les brancards et souhaitant ainsi en reprendre les rênes. C’est là sûrement une autre raison de voir émerger un autre Satan, plus redoutable, hors littérature, qui pétrit la pâte de l’histoire.

    III.1.2 Satanisme religieux, possession et exorcisme

    Du temps de Jules Blois (1868 – 1943) auteur du texte « le satanisme et la magie », sur lequel nous nous baserons en grande partie pour rédiger ce sous-chapitre, il arrivait de confondre les malades mentaux avec des possédés et vice versa. Cependant, des personnes qui se portent très bien, que l’on rencontre dans la rue, semblables à tout le monde se livrent en secret à des opérations de magie noire, essaient de se lier avec les Esprits des ténèbres pour assouvir leurs désirs d’ambition, de haine, d’amour, pour faire, en un mot, le Mal. Mais es-t-on sûr que ces actes soient possibles, avons-nous des preuves que le satanisme n’est pas un leurre ? La question est certainement l’une des plus obscures et emmêlées qui soit et cela se comprend ; le satanisme bénéficie de la difficulté très réelle de la montrer nettement au public. Si pendant plusieurs siècles les manigances de la sorcellerie furent considérées comme des crimes et traqués, il n’en est plus de même aujourd’hui et par conséquent, la publicité des tribunaux publics et de la presse manque. Ajoutons que dès qu’un stigmate infernal fait surface, on lui replonge la tête dans l’eau en faisant semblant de n’avoir rien vu. Il existe néanmoins des faits menant à des déductions que l’on peut tirer à cette conséquence, que la réalité du satanisme est indéniable.

    C’est de ceux-là que nous parlerons ensuite. À la toute fin du XIXe siècle, Jules Blois recense dans son livre plusieurs vols d’hosties réalisés à Notre-dame, mais aussi presque dans tous les recoins les plus éloignés du territoire français ; la Nièvre, la Loire, dans l’Yonne, à Orléans (treize églises furent spoliées à l’époque), à Lyon. Ces déprédations s’aggravent, si bien que l’archevêque du diocèse de Lyon invite les curés de chaque paroisse à transformer les tabernacles en coffres-forts. Ajoutons que ces abominations ne sont pas particulières à la France. Cette année même (1893 – 1894), aux approches de la Semaine sainte qui est l’époque partout attendue par les Sataniques pour commettre les souverains méfaits, toutes les hosties du monastère Notre-Dame des Sept Douleurs à Rome disparurent ; et il en fut de même à l’église paroissiale de Varèse de Ligurie et au couvent des religieuses de Santa Maria delle Grazie, à Salerne. Mais ici, aucune émotion du clergé ou des tribunaux ne fut détectée, nulle action ne fut intentée pour punir les coupables de ces larcins.

    Pour que l’électrocardiogramme de l’Église, de la justice et de la presse démontre une activité conséquente, il faut des crimes monstrueux tels que ceux qui survinrent quelques années plus tôt ; celui d’un sieur Picot, s’étant lié par un pacte avec l’Enfer, qui dévora le cœur encore chaud d’un enfant qu’il assassina. Dans la même ville, Port-Louis, un sorcier cherchant à acquérir les faveurs des Puissances infernales, coupa le cou d’un garçon de sept ans dont il suça, à même la plaie, le sang. Quant aux hosties dérobées, il est certain que les auteurs de ces vols ne les ont pas commis dans l’intention de les déguster tartinées de confiture ; ce qu’ils ou elles recherchaient étaient les hosties consacrées, i.e. pensées être le corps du Christ lui-même. Or, comme cette chair ne peut, dans ces conditions, être utilisée que pour des actes d’exécration, que pour des apprêts de philtres, que pour des cérémonies infernales, nous sommes forcément amenés, par ce seul fait qu’on la voie, à conclure à l’existence certaine du Satanisme, toujours selon Blois.

    Avant de s’intéresser à exposer la démonstration de l’existence des esprits malins, nous devons nous arrêter sur la question posée à raison par Jules Blois ; sont-ce des gens isolés ou des associations démoniaques qui commandent ces forfaits ou en profitent ? Sont-ce des Lucifériens ou des Sataniques ? Blois répond que les présomptions seraient plutôt pour la première de ces sectes et s’explique de la sorte : « tout le monde sait que le domaine du Déchu, sur cette terre, se divise en deux camps : l’un, celui du Palladisme, des Lucifériens qui englobe le vieux et le nouveau monde, qui possède un anti-pape, une curie, un collège de cardinaux, qui est, en quelque sorte, une parodie de la cour du Vatican. Le général Pike fut, pendant quelques années, le vicaire du Très-bas, le pontife installé dans la Rome infernale, à Charleston. Il existe des associations éparses ou des gens isolés, travaillant seuls ou avec l’aide de quelques voyantes, poursuivant un but personnel, ne s’occupant pas spécialement, ainsi que les groupes Lucifériens, d’abattre le catholicisme partout où il fléchit et de préparer le règne attendu de l’Antechrist ; l’on pourrait dire d’eux, de même que de certains anarchistes, qu’ils sont des solitaires.

    En tout cas, il ne semble pas y avoir de relations entre l’armée des Lucifériens et les déicides esseulés ou les petits cénacles du Satanisme. D’ailleurs, leurs idées diffèrent ; pour les Palladistes, Lucifer est le Dieu de lumière, le principe du bien, tandis qu’Adonaï est le principe du mal ; il est, en un mot, Satan même. Aussi est-ce pour eux une insulte que d’appeler Lucifer par ce nom. Les Sataniques, au contraire, ont la même croyance que les chrétiens. Ils savent parfaitement que Lucifer, que Satan est l’Archange proscrit, le grand Tenancier du Mal, et c’est en connaissance de cause qu’ils pactisent avec lui et qu’ils l’adorent. ». Selon ces dernières phrases tirées du livre de Jules Blois, Lucifer est le nom de l’empereur de l’Enfer, nous garderons ce nom en tête pour mener une étude plus approfondie à son sujet à la fin de ce chapitre.

    Selon Nicolas Walzer, sociologue et auteur de « Satan profane », en tant que culte, le satanisme est une organisation religieuse (avec ses rites et ses symboles chrétiens inversés) venue des États-unis, et fondée en 1966 par Anton LaVey, un californien excentrique qui a créé l’Église de Satan. Le culte satanique, ici, se caractérise principalement par l’égotisme (la recherche de plaisir ici et maintenant) et l’anticonformisme. En France, les satanistes religieux seraient environ une centaine. Le chiffre de 25 000 donné par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires est un amalgame regrettable entre la culture satanique et le satanisme, ultra-minoritaire. Lorsque l’on parle de satanisme cultuel, on pense sacrifices et rituels macabres, or ce ne sont là qu’une petite partie constituante des nombreuses formes de satanisme en cours que nous présenterons ci-après de manière concise :

    – Le Temple satanique, contrairement à ce que son nom pourrait indiquer, ne croit pas en l’existence de Satan. Il s’agit en réalité d’une organisation dont l’objectif est de défendre la séparation de l’église et de l’état et de protéger, notamment, le droit à l’avortement et le mariage gay.

    – Le Luciférisme s’apparente plus à un courant de pensée qu’à un culte, utilisant le personnage de Lucifer comme un symbole, les adeptes du luciférisme perçoivent celui-ci comme la représentation de la connaissance et de l’émancipation de la pensée.

    – L’église satanique dont nous venons d’évoquer les tendons orientés sur la priorisation du bien-être et la gratification personnelle. Cette église est ouverte à l’utilisation de la magie, la définissant comme une science encore inexpliquée et non une force surnaturelle.

    – Le temple de Set ; organisation religieuse satanique ou un ordre initiatique occulte fondé par d’anciens membres de l’Église de Satan en 1975. Les membres y pratiquent un ensemble de rites dans le but d’obtenir différents titres ou grades. Ce culte fait référence aux dieux et écritures de l’Égypte antique.

    – le dualisme religieux : est une doctrine basée sur les écritures bibliques mais dans laquelle le Diable peut être considéré non pas seulement comme un adversaire à Dieu, mais aussi comme son égal. La doctrine la plus connue de dualisme religieux est le manichéisme. Dans certaines versions, la lutte entre le bien et le mal engendre un mélange des deux, mais certains dualistes espèrent que le Diable l’emporte.

    – Le satanisme traditionnel ; il s’agit d’un courant religieux issu de la voie de la main gauche vénérant les anciens anges déchus et leur chef, Satan ou Lucifer. Les rituels faits en son honneur visent donc à faire avancer son royaume.

    De fait, les satanistes voient Lucifer comme le symbole de la libération, le considèrent comme un héros qui a rejeté Dieu et refusé de vivre sous son contrôle. Lucifer est ainsi une métaphore de la liberté pour toutes les personnes qui choisissent de ne pas suivre des courants ou systèmes qu’on leur impose, comme le capitalisme, la démocratie, le fascisme ou la tyrannie. Le satanisme est aussi considéré comme un courant religieux féministe car les femmes ayant combattu le patriarcat et l’oppression de la domination masculine dans la société ont souvent été associées à Satan, d’autant plus que ces dernières cherchaient l’égalité, la libération de leur sexualité et leur autonomie, de quoi enfreindre bien des préceptes de la Bible. Avant de passer à l’étude et aux croyances relatives au souverain de l’Enfer, il faut préciser que l’occultisme, dont font partie l’astrologie, la divination, entre autres, ne sont pas à inclure dans le satanisme, les arts divinatoires et le satanisme étant à l’occultisme ce que les os sont à un corps humain. Nous ne croyons pas plus le paganisme comme étant une variante du satanisme ni même un satanisme à part entière, mais plutôt une source d’inspiration pour le satanisme religieux comme nous le verrons plus loin.

    Abordons maintenant le sujet de la possession et des pratiques consistant à extirper un cacodémon d’un corps vivant. L’abbé Jean-Pierre Boubée explique dans son article « Possessions et exorcismes » publié en 2021 sur le site LaPorteLatine.org, que la possession constitue l’installation d’un démon dans le corps et la prise de contrôle sur ce corps, toutefois intermittente. À quelle occasion un démon peut-il pénétrer un corps ? À l’origine de nombreux cas de possessions, figurent les séances de spiritisme peu ou mal encadrées. Si certains cas de « possessions » peuvent être expliqués par une santé mentale défaillante (à ce sujet voir l’article « Un cas de possession et l’exorcisme moderne » de Pierre Janet sur le site hansen-hypnose.com), d’autres revêtent un caractère autrement terrifiant qui ne pourrait être expliqué aussi simplement que par une dégradation psychique.

    Pour démêler les véritables cas de possessions de maladies mentales, le sujet est au moins examiné par un médecin et un prêtre. Dans le pire des deux cas, l’exorcisme est autorisé par un évêque ou tout autre autorité religieuse haut placée. En 1984, une séance d’exorcisme filmée, diffusée sur la chaîne française Antenne 2 et autorisée par le Vatican s’est déroulée comme suit : en premier lieu, le possédé, ici un homme mature, fut sanglé sur ce qui semble être un lit. Le prêtre, Père Matthieu, assisté de quelques religieux, pose la main sur le front de l’homme et récite quelques phrases en latin suivies d’une prière reprise par l’assemblée. La voix off, celle du Père lui-même, explique que l’homme n’était pas chrétien mais pratiquant la magie depuis l’âge de six ans. Il poursuit l’explication en disant que l’homme a senti une douleur au ventre après sa conversion et l’absolution de ses fautes. Les médecins qu’il a vus lui ont conseillé de consulter un prêtre. La vidéo ne permet pas de savoir si l’exorcisme fut un succès ou non, on ne saura si il était ou non possédé mais son comportement très étrange pendant la séance admet le bénéfice du doute. Le cas de possession de Roland Doe qui a inspiré le film L’exorciste est fort bien connu et l’histoire se souvient encore de l’épouvantable cri d’angoisse qui s’est fait entendre et de la terrible odeur qui flottait lorsque le jeune garçon fut délivré de ces démons après plus de trente séances d’exorcisme.

    Le cas de Georges Lukins, un tailleur anglais ayant vécu au XVIIIe siècle doit être détaillé : ses voisins l’ayant entendu chanter avec une voix qui n’était pas la sienne et dans une langue inconnue, décidèrent de faire appel à l’église. Le séjour de 20 mois à l’hôpital ne lui fut d’aucun secours, période pendant laquelle il affirme qu’il est le diable en personne et au cours de laquelle son comportement devient de plus en plus violent. Après l’intervention des prêtres, on remarqua que sept démons avaient pris possession de son corps. L’homme cria « Béni soit le Seigneur » après sa libération et reprit une vie pieuse. Nous mentionnerons également le cas de Michael Taylor, meurtrier de sa femme et de son chien après avoir été exorcisé de 40 démons sauf un. L’homme fut acquitté pour motif de folie lors de son procès. Au moins deux cas de lévitation à la suite ou pendant une possession démoniaque furent relatés, l’un concernant Clara Germana Cele et l’autre une femme prénommée Julia. Selon l’article publié sur Mindshadow.fr, les critères déterminant l’installation d’un démon au sein du corps de telle ou telle personne relèvent d’une vulnérabilité générale, une faible estime d’elles-mêmes et bien entendu celles s’adonnant à des pratiques telles que l’occultisme, le spiritisme, la magie, la voyance, la nécromancie. Le possédé peut également être victime d’un sortilège ou « hériter » d’un démon familial qui change d’hôte au décès du précédent.

    Certaines personnes demanderaient délibérément à être possédées, ce que l’on appelle communément pactiser avec le diable. Généralement, les signes de la possession sont discrets et ne se manifestent pas constamment, sauf dans les cas les plus graves. Le possédé continue sa vie comme si de rien n’était. La tâche la plus délicate de l’exorciste consiste à distinguer la possession satanique des maladies physiques ou psychologiques. Pour la médecine, la possession n’est jamais envisagée comme une manifestation diabolique mais comme une forme de délire au cours duquel le malade se pense habité par un être surnaturel qui parle par sa bouche et dirige ses mouvements malgré lui. Il arrive parfois que le prêtre en vienne à la conclusion que la victime est bien la proie du Malin et il doit alors définir la manière dont ce dernier le harcèle car les manifestations démoniaques sont multiples et variées :

    – L’obsession : le démon soumet l’homme à une suite de tentations de plus en plus violentes et prolongées.

    – La possession : le démon investit le corps de la victime et les stigmates visibles sur le corps de la victime dirigent le prêtre vers cette interprétation.

    – La vexation : le démon provoque des troubles de la santé, des pertes de biens matériels, des peines de coeur, des problèmes au travail, etc.

    – Les infestations : le démon se manifeste à travers différents objets de la maison ou des animaux.

    – Les souffrances externes, coups et sévices, que l’on retrouve dans la vie des saints ou personnes ferventes.

    – L’état de dépendance du démon, dont la principale cause est un pacte avec lui.

    L’histoire d’Elizabeth de Ranfaing rapportée par Dom Augustin Calmet est un cas étrange de compréhension de langues anciennes inconnues de la part de la victime et cette caractéristique indique à coup sûr un cas de possession démoniaque grave selon certains commentateurs, les plus légers pouvant être résolus par la prière. Les autres caractéristiques révélant une possession grave sont 2) la révélation de choses cachées ou futures, sans qu’aucune raison naturelle ne puisse l’expliquer, 3) avoir en horreur des choses saintes ; les objets pieux mettent le possédé dans une rage folle, le conduisant généralement à blasphémer de la plus horrible manière, 4) faire preuve d’une force physique dépassant l’âge ou la condition du sujet. Ces quatre signes, dont au moins trois sont révélateurs, sont déterminants. D’autres peuvent être pris en compte : la lévitation, pouvoir marcher au plafond, vomir des objets incongrus. Pour chasser les démons, les prêtres babyloniens détruisaient une figurine en cire ou en argile, les Perses éloignaient les mauvais esprits par la prière. L’exorcisme ne se limite pourtant pas aux cas humains, les animaux, et les lieux pouvant eux aussi faire l’objet d’un exorcisme. L’abbé Boubée ajoute que le meilleur remède à l’action d’un démon est le baptême, bien que celui-ci ne soit pas suffisant en lui-même.

    III.1.3 Lucifer, lumière infernale, empereur de l’Enfer ?

    Nous l’avons vu, Lucifer est étymologiquement le porteur de Lumière, figurativement celui qui apporte la connaissance, le savoir et celui qui est par conséquent à l’origine des conclusions nécessaires qui suivront. N’est-il pas celui qui a tenté la Femme à consommer du fruit interdit ? À son sujet, nous possédons une masse de données si conséquente qu’on ne saurait trier, en l’état de nos connaissances, que considérer véridique, pertinent ou à écarter. Appuyons nous donc sur l’ouvrage référent qui nous semble le plus fiable ; le Dictionnaire Infernal écrit par Jacques-Albin-Simon Collin de Plancy. Le nom de Lucifer apparaît pour la première fois dans ce livre à la page 15, au sein de la définition des perfides albigeois qui admettaient deux principes ; que Dieu avait produit de lui-même Lucifer, qui était ainsi son fil aîné ; que Lucifer, fils de Dieu, s’était révolté contre lui, entraînant dans sa rébellion une partie des anges ; qu’il s’était vu alors chassé du ciel avec ses complices, qu’il avait, dans son exil, créé ce monde que nous habitons, où il régnait et où tout allait mal. Ils ajoutaient que Dieu, pour rétablir l’ordre, avait produit un second fils, en la personne de Jésus-Christ. Les albigeois pensaient que nos âmes n’étaient que des démons logés dans nos corps en châtiment de leurs crimes. Dès la fin du XIIe siècle, les Albigeois tuaient les prêtres et les moines, brûlaient les croix et détruisaient les églises. Il fallut, pour mettre fin à ces odieux excès, faire contre eux une croisade dont Simon de Montfort fut le héros.

    À la page 186 de son ouvrage, M.Collin de Plancy expose les conclusions de Wierus et d’autres démonomanes selon lesquelles Lucifer ne serait qu’un justicier de l’Enfer, derrière les ambassadeurs, les Ministres (dont Nergal et Baal), eux-mêmes derrière les Princes et les grands dignitaires dans l’ordre hiérarchique. Le chef suprême étant selon eux Belzebuth, étymologiquement Seigneur des Mouches, i.e des déchets. Plus loin, page 417 du même ouvrage, il est insinué que Lucifer est souvent pris pour le roi des enfers par quelques démonomanes, mais selon quelques démonographes seulement comme le justicier des enfers. Nos certitudes sont encore une fois ébranlées à la page 514 lorsque Lucifer est nommé empereur des démons et Belzébuth, en deuxième place, prince. Les formules concluant les pactes sont décrites à l’intention de Lucifer en premier lieu, Belzébuth en deuxième (mentionné en tant que prince) et Astaroth en troisième (mentionné en tant que comte) à la page suivante. Gardons-nous de trancher, nous verrons de toutes façons, au dernier chapitre de cette étude comment la figure de Lucifer a remporté les suffrages parmi les humains et dans la pop culture en tant que souverain suprême des Enfers. Mais d’abord, passons à l’apparence démontrée ou supposée de Lucifer dans les Écritures, l’imaginaire collectif et les œuvres ultérieures.

    IV. Apparence du cacodémon suprême

    IV.1. Le bouc mythologique

    Page 212 du Dictionnaire infernal, il est dit : « cinq gendarmes conduisaient à la prison le diable même. Tête surmontée de deux cornes, et flanquée d’oreilles de bouc, corps velu, à jambes de cheval, à pieds fourchus et ce Lucifer penaud se laissait conduire à la geôle. Cette apparence est celle que toute personne voit se dessiner dans sa tête lorsque l’on mentionne le simple nom du diable en chef. Pourtant, cette apparence n’est nulle part décrite dans les Écritures et pour la comprendre, il faut revenir à la manière dont la religion chrétienne s’est construite, ou plutôt sur ses bases plus ou moins assumées. En effet, il est de notoriété publique qu’afin d’être mieux accepté par les païens, le christianisme a édifié ses fondations sur les croyances et figures païennes elles-même. Certaines figures et rites ont été modelés avec la pâte matricielle du christianisme pour former au fil des siècles la religion codifiée et dogmatique que nous connaissons aujourd’hui. Nous allons nous intéresser ici à une figure en particulier qui représente à elle seule une part sombre de la mythologie et dont le nom tient en trois lettres ; Pan.

    Un article sur le site Flutedepan.fr issu lui-même du livre « Sorcières et démons » d’Edouard Brasey (2000), nous livre des informations fort intéressantes dont nous nous inspirerons pour rédiger une synthèse, cumulées avec celles de l’article de Mark Cartwright sur le même sujet publié sur le site de Worldhistory.org : Pan apparaît dans l’art grec aux alentours de 500 avant J.-C. sur la poterie où il est initialement représenté entièrement chèvre debout sur ses pattes arrière, il acquiert plus tard sur les poteries à figures rouges un corps et une tête humains mais conservent des cornes de chèvre. Son culte se déroulait surtout dans des grottes, notamment celle du Korkykeion, située sur les pentes du mont Parnasse, et celle de Vari en Attique. Selon Edouard Brasey, c’est un satyre à l’appétit sexuel démesuré qui assaille indifféremment les nymphes et les jeunes garçons ; à défaut de proies, il se livre à l’onanisme, tant sa sexualité est exigeante. Il incarne la puissance des éléments de la nature et la sexualité débridée. L’église catholique romaine, on le comprend, n’a eu aucun mal à métamorphoser un pareil dieu en diable, bouc cornu des sabbats. Certains auteurs, notamment dans le registre du romantisme noir et du fantastique, ont à leur tour retenu l’assimilation du grand Pan au diable, en décrivant l’effroi glacé qui saisit l’être humain suffisamment inconscient pour regarder en face ce dieu redoutable.

    Pan, c’est le pouvoir de l’enfance et du jeu, la force du rire, la soif de l’amour, la communion avec la nature immense et vierge. C’est la revanche de la campagne et des forêts sur les villes ; c’est l’état sauvage contre celui de civilisé ; c’est le monde de l’intuition et de l’éveil s’opposant à celui de la raison ; c’est la magie contre la science. Bien que pourchassé par l’Église de Rome, le sabbat des sorcières serait donc moins une hérésie satanique que la manifestation d’une religion pré-chrétienne, s’enracinant aussi bien dans l’Antiquité grecque et romaine que dans les anciens cultes celtiques et germaniques. La sorcière adorant le « diable », rival noir de Dieu, cacherait en réalité une authentique prêtresse de Pan et une adepte du panthéisme, pour laquelle tout est Dieu car Pan est tout et partout. Quant à sa représentation sous forme de serpent (cf tweet 1), cela pourrait être le fait de l’assimilation du dragon à l’entité maléfique suprême, créature cauchemardesque crachant du feu et donc à ses caractéristiques remarquables ; les ailes, la queue et les pattes griffues.

    IV.2. Le démon vidéo-génique

    Penchons-nous maintenant sur deux œuvres cinématographiques récentes présentant deux souverains des enfers différant en apparence mais incarnant la même entité et portant un nom rigoureusement identique ; Lucifer Morningstar. La première œuvre à laquelle nous nous intéresserons est la série télévisée « Lucifer », où Tom Ellis joue le rôle principal. Il est représenté comme un simple homme à qui pousse parfois des ailes d’ange, renvoyant à son ancienne condition. Dans la série The Sandman, Lucifer s’incarne sous les traits angéliques d’une femme dotée d’ailes de dragon, ou de chauve-souris. En cela, on pourrait considérer cette dernière non pas comme Lucifer mais comme Lilith, « la première ève » selon la tradition rabbinique, qui serait une femme engendrée et possédant un grand savoir à l’instar de celui qui serait né en même temps qu’elle ; Samaël, que la tradition juive identifie traditionnellement à Lucifer, ce dernier nom n’apparaissant ni dans le Nouveau, ni dans l’Ancien testament. Samaël et Lilith, qui seraient époux, se disputent la paternité du péché originel et selon la littérature rabbinique, le bouc émissaire du Yom Kippour serait destiné à Samaël.

    Mention spéciale à Ereškigal, la souveraine des Enfers qu’Oswald Wirth, dans son « Poème d’Ištar », décrit comme ayant un mufle de lionne et des bras velus, une apparence démoniaque que l’on retrouve chez son célèbre compatriote Pazuzu.

    Pour plus de publications à propos du Proche-Orient ancien, veuillez vous abonner à mon compte Twitter : @LJAnthonyHalley

    Bibliographie :

    Bible de Louis Segond (LSG) sur BibleGateway: Livre de l’Apocalypse (12)

    Bible de Louis Segond (LSG) sur SainteBible : Livre de Job (1:6)

    https://saintebible.com/job/1-6.htm

    Bible de Louis Segond (LSG) sur SainteBible : Livre de la Genèse (37) https://saintebible.com/lsg/genesis/37.htm

    Bible de Louis Segond (LSG) sur BibleGateWay : Livre d’Esaïe (14 : 13 – 14)

    Esaie 14 : 13 – 14 LSG – Tu disais en ton coeur: Je monterai au – Bible Gateway

    Bible Louis Segond (LSG) sur BibleGateWay : Livre de Matthieu (4)

    Matthieu 4 LSG – Alors Jésus fut emmené par – Bible Gateway

    Bible de Louis Segond (LSG) sur BibleGateway : Livre de Matthieu (3)

    Matthieu 3 LSG – En ce temps-là parut Jean Baptiste, – Bible Gateway

    Commentaire avancé du chapitre 4 de Matthieu sur BibleEnligne.com : Livre de Matthieu (4)

    Commentaire avancé : Matthieu, Chapitre 4 – BibleEnLigne.com

    Livre 2 Corinthiens 1:1 sur SainteBible.com

    2 Corinthiens 1:1 Paul, apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, et le frère Timothée, à l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe, et à tous les saints qui sont dans toute l’Achaïe: (saintebible.com)

    Éphésiens (6 : 13 -17) sur Bibles & publications chrétiennes

    Éphésiens 6. 13-17 – Sondez les Écritures – Bibles et Publications Chrétiennes (editeurbpc.com)

    Étude 12 – le combat chrétiens (Éphésienns 6 : 10 – 12) sur Étudesbibliques.net

    EtudesBibliques.net – Étude 12 – Le combat chrétien (Éphésiens 6:10-12)

    Commentaire biblique Épître aux Éphésiens (6), Bible Annotée – 1899, sur Levangile.com

    Commentaire biblique Ephésiens 6 Versets 1 à 9 — Devoirs qui… – Bible Annotée (levangile.com)

    Commentaire biblique 2 Corinthiens (11), Bible annotée – 1899, sur Levangile.com

    Commentaire biblique 2 Corinthiens 11 Versets 1 à 15 — Zèle et… – Bible Annotée (levangile.com)

    Bible Louis Segond (LSG) : 2 Corinthiens 11 sur SainteBible.com

    2 Corinthiens 11 Louis Segond Bible (saintebible.com)

    Lévitique (16 : 1 – 34) sur JW.org

    Lévitique 16​:​1-34 | Traduction du monde nouveau (édition d’étude) | Bible d’étude TMN (jw.org)

    Commentaire du Lévitique 16 : 1 – 34 de Leslie M.Grant sur Bibliaplus.org

    Lévitique 16:1-34 – Commentaire de Leslie M. Grant (bibliaplus.org)

    Lévitique (16), Bible annotée – 1899, sur Levangile.com

    Commentaire biblique Lévitique 16.34 – Bible annotée (levangile.com)

    Le jour des expiations (Lévitique 16, 1-34) sur UniversdelaBible.net

    Lire la Bible – Le jour des expiations (Lévitique 16,1-34) (universdelabible.net)

    Lévitique, Chapitre 16, Bible de Jérusalem, sur Bible-center.ru

    Lévitique, Chapitre 16: BIBLE, La Bible de Jerusalem == BIBLE-CENTRE (bible-center.ru)

    Azazel sur Wikipédia.org

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    Azazel définition du dictionnaire biblique Westphal (levangile.com)

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    Azazel. Origines, ce qui signifie, dans la Bible hébraïque et dans la littérature rabbinique (boowiki.info)

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    Le bouc qui s’en va [1] | Cairn.info

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    Dictionnaire infernal : répertoire universel des êtres, des personnages, des livres… qui tiennent aux esprits, aux demons… / par J. Collin de Plancy | Gallica (bnf.fr)

    Book Of Tobit sur NewWorldEncyclopedia.org

    Book of Tobit – New World Encyclopedia

    Asmodai sur NewWorldEncyclopedia.org

    Asmodai – New World Encyclopedia

    « Démonologie et rituels magiques dans la tradition juive » de Alejandra Mejia Cardona (2020), sur iejudaisme.com

    Démonologie et rituels magiques dans la tradition juive (iejudaisme.com)

    Satanisme : définition sur CNRTL.fr

    SATANISME : Définition de SATANISME (cnrtl.fr)

    Satanisme (littérature) de Max Milner sur Encyclopedia Universalis

    SATANISME, littérature – Encyclopædia Universalis

    « Le satanisme et la magie » de Jules Blois (1895) sur Gallica.bnf.fr

    Le satanisme et la magie / Jules Bois. avec une étude / de J.-K. Huysmans,… ; illustrations de Henry de Malvost | Gallica (bnf.fr)

    « Psychologie des satanistes. Rencontre avec Nicolas Walzer », propos recueillis par Valerie A.G.Ventureyra pour le magazine Sciences humaines

    Psychologie des satanistes. Rencontre avec Nicolas Walzer (scienceshumaines.com)

    « Un cas de possession et l’exorcisme moderne » de Pierre Janet sur Hansen-hypnose.com

    « Un cas de possession et l’exorcisme moderne » – Pierre Janet (hansen-hypnose.com)

    « Ces vrais cas de possessions démoniaques vont vous donner froid dans le dos ! » – vidéo exorcisme en 1984 du Père Matthieu – sur Hitek.fr

    Ces vrais cas de possessions démoniaques vont vous donner froid dans le dos ! (hitek.fr)

    « Possessions et exorcismes » (2021) de l’Abbé Jean-Pierre Boubée sur Laportelatine.org

    Possessions et exorcismes • La Porte Latine

    « Le diable, possession et exorcisme » sur mindshadow.fr

    Le Diable, Possession et Exorcisme (mindshadow.fr)

    Le Mariage du Ciel et de l’Enfer sur Wikipédia.org

    Le Mariage du Ciel et de l’Enfer — Wikipédia (wikipedia.org)

    « 8 formes de satanisme étonnantes » par Vanessa Hauguel (2015) sur Noovomoi.ca

    8 formes de satanisme étonnantes (noovomoi.ca)

    « Pan, dieu des bergers et des troupeaux, figure de la nature universelle » par Pacsal Charvet (2019) sur eduscol.education.fr

    Pan, dieu des bergers et des troupeaux, figure de la nature universelle | Odysseum (education.fr)

    « Pan » par mark Cartwright (2013) sur WorldHistory.org

    Pan – Encyclopédie de l’Histoire du Monde (worldhistory.org)

    « Pan, le tout Primordial » extrait du livre d’Edouard Brasey « Sorcières et démons (2000). Pygmalion. Sur flute-de-pan.fr

    5. Pan, le Tout Primordial – Flûte de Pan (flute-de-pan.fr)

    Samaël sur Wikipédia.org

    Samaël — Wikipédia (wikipedia.org)

    Samaël sur Mythologica.fr

    Anges et démons : Samaël (mythologica.fr)


  • La figure royale au Proche-Orient ancien

    La figure royale au Proche-Orient ancien


    La nature monarchique du pouvoir est une constante de l’histoire politique du Proche-Orient antique, même si l’institution a connu diverses formes du Levant à l’Iran, de l’apparition des premières cités aux grands empires assyrien, babylonien et perse du Ier millénaire avant J.C. Au sortir du néolithique, l’existence de chefs à la tête de sociétés de plus en plus hiérarchisées préfigure peut-être les premiers souverains comme figures d’autorité.

    A l’époque d’Uruk (3500 – 2900 avant J.C.), le roi-prêtre, cumulant déjà une fonction religieuse, incarne la première figure royale au sein des villes naissantes, alors que les titulatures apparaissent dans le courant du IIIe millénaire avant J.C. en même temps que les textes historiques. Les listes dynastiques, rattachant les premières dynasties à des temps mythiques, permettent de reconstruire en partie l’histoire des différents royaumes. Si le pouvoir se transmet de père en fils, le souverain est un roi de droit divin et le principal intermédiaire entre les dieux qui l’ont élu et le peuple qu’il dirige.

    Ce rapport privilégié se manifeste par une cérémonie d’investiture où le souverain reçoit les insignes de son pouvoir, un cercle et un bâton, héritiers du rouleau de corde et du bâton de mesure symboles de sa fonction de bâtisseur. Le roi veille en effet à l’entretien et à la construction des temples, ainsi qu’à l’embellissement de sa cité. Aidé du clergé, il honore les divinités en accomplissant rites et offrandes, dont les bénéfices rejaillissent sur son royaume et ses administrés.

    Stèle babylonienne usurpée par un roi élamite montrant le roi debout devant un dieu trônant, dont il reçoit les insignes de son pouvoir, symbolisé par un cercle et un bâton. Suse (Iran), tell de l’Acropole. Epoque médio-élamite, XIIe siècle av J.C. Musée du Louvre. [https://petitegalerie.louvre.fr/content/pouvoir-royal-dans-lorient-ancien-0]


    Certains rois ont même été considérés à l’égal des dieux, divinisés de leur vivant ou après leur mort. Cet aspect fondamental de la fonction royale coexiste dès les origines avec la figure du roi guerrier. Protégeant son peuple des agressions extérieures, il est aussi le conquérant qui s’empare de nouveaux territoires pour étendre sa richesse. La justice, d’essence divine, est aussi une prérogative du roi, garant du droit et de l’équité, seules valeurs à même d’assurer le bon fonctionnement et la prospérité du royaume.

    Stèle de victoire de Narâm-Sîn, roi d’Akkad, commémorant la victoire de Narâm-Sîn sur les Lullubis, un peuple montagnard du Zagros. Les cornes ornant son casque lui confèrent une dimension divine : Narâm-Sîn fut en effet le premier souverain divinisé de son vivant. Suse, Tell de l’Acropole, rapporté de Sippar. Epoque d’Akkad, vers 2254-2218 av. J.C. Musée du Louvre. [https://petitegalerie.louvre.fr/content/pouvoir-royal-dans-lorient-ancien-0]


    Dans toutes ces tâches, scribes et fonctionnaires forment autour du souverain une solide administration rattachée au palais, à la fois résidence et siège du pouvoir, dont la monumentalité, le décor et les fastes de la cour reflètent la puissance et la gloire universelles de celui qui l’habite.

    Le souverain, choisi et investi par les dieux, se pose comme le garant de l’ordre du monde, dispensateur de richesses, de prospérité, mais aussi de stabilité (il préserve l’intégrité des frontières, ou conquiert d’autres contrées), de justice. Il se fait représenter soutenu par les dieux face à l’ennemi, voire se donne comme l’égal des dieux.

    Le roi se fait également représenter en vainqueur, et fait en sorte que soient humiliés ou oubliés les princes vaincus (récupération et détournement de monuments ; damnatio memoriae ; représentation humiliante de l’ennemi…).

    L’art perse se caractérise par la figure centrale du roi. Ce dernier domine dans les bas-reliefs de son palais mais aussi dans d’autres bâtiments, dans la glyptique, dans la statuaire, dans les tombes (construites à l’air libre ou rupestres). Ce n’est pas un hasard, dès lors, s’il se fait appeler avec une nouvelle titulature officielle, inexistante auparavant : « roi des rois » (quelques antécédents, mais rares, dans les lettres de Babyloniens aux rois assyriens). Le titre exprime bien la domination totale, la hiérarchie entre rois, la supériorité même vis-à-vis des rois néo-assyriens et néo-babyloniens, ses prédécesseurs immédiats contre lesquels il avait combattu.

    Un officier rend hommage à Darius Ier (« le roi des rois ») à Persépolis. Bas-relief de la salle du Trésor impérial. Vers 510 av J.C. [https://www.lepoint.fr/histoire/darius-ier-le-roi-des-rois-29-12-2017-2183105_1615.php#11]


    Et il se fait représenter essentiellement de deux manières ; l’une dérivée de la tradition mésopotamienne, celle du roi victorieux, l’autre inventée en partant de suggestions différentes : c’est l’image du roi recevant un hommage de la part de ses vassaux soumis.

    Dans le premier cas, le roi est représenté selon les conventions mésopotamiennes typiques des représentations royales : piétinant un ennemi ; luttant contre un lion ou un autre être composite. Dans le deuxième cas, il est représenté selon des conventions utilisées jusqu’alors pour les dieux. Le roi en majesté, assis sur son trône, parfois protégé du soleil par le porte-parasol royal, reçoit en audience l’acte de soumission des dominés.

    Plus rarement, il est debout, spécialement lorsqu’il se trouve en face de son dieu, Ahura Mazda. L’image du roi en majesté n’est pas totalement étrangère à la tradition mésopotamienne : il y a un précurseur néo-assyrien rarissime, mais qui a été de toute évidence connu par les Achéménides. Dans les bas-reliefs de la prise de Lakish, en effet, le roi Sennachérib est représenté sur son trône en acte de recevoir la soumission des vaincus.

    Ce relief mural du palais du sud-ouest à Ninive montre le roi assyrien Sennachérib après la chute de Lakish. Les inscriptions cunéiformes disent : « Sennachérib, le puissant roi, roi du pays d’Assyrie, assis sur le trône du jugement, devant la ville de Lashisha. Je donne la permission pour son abattage ». Le visage de Sennachérib semble avoir été délibérément endommagé, probablement par un soldat ennemi. British Museum, Londres. https://www.worldhistory.org/image/2801/sennacherib-and-the-fall-of-lachish/


    Il est assis sur un trône qui rappelle celui du roi perse soutenu par les différents peuples représentant les nations vaincues. Pourtant, en Mésopotamie, la représentation d’un personnage assis sur un trône est plus liée à la divinité ou au roi divinisé (comme dans les sceaux Ur III/paléo-babyloniens) qu’au roi. En effet, dans toutes les autres images, le souverain victorieux est debout (depuis l’étendard d’Ur, à la Stèle de Sargon d’Akkad, à l’obélisque noir), même sur son char (Tiglath-Phalasar III).

    A part sa position, une autre convention utilisée dans la représentation du roi perse en majesté indique une allusion à la sphère divine : les gestes des soumis. Ces derniers présentent souvent les mains jointes (comme les offrants depuis le IIIe millénaire av. J.C. en Mésopotamie et en Elam) ou une main avec l’index plié (geste apparu sûrement au XIII s.av.J.C. sur l’autel de Tukulti-Ninurta I d’Assur mais peut-être même avant, aux XIXe-XVIIIe s. ; il a été utilisé aussi par les figures de courtisans, prêtres et gens communs en face d’une divinité depuis les Sargonides) ou avec les mains levées.

    Ce dernier geste est répandu partout au Proche-Orient ancien et se décline en plusieurs variantes (une ou deux mains levées avec la paume tournée vers l’extérieur, une ou deux mains levées avec la paume tournée vers l’intérieur). Geste polysémique, extrêmement riche en nuances, utilisé en des contextes sociaux, rituels et politiques différents, il reste toujours une marque de déférence et de soumission à la divinité. Enfin, les deux actes de s’agenouiller et de se prosterner devant le « roi des rois » expriment aussi à des degrés différents (la prosternation conserve un côté humiliant) un acte de soumission en plus de la dévotion.

    La nouveauté de l’art perse est la domination de la figure du roi et sa représentation comme être divin : c’est un art qui devient une véritable œuvre de propagande politique et qui doit sa raison d’être dans le grand nombre des différents peuples conquis. La figure du roi est en effet le seul élément capable de maintenir uni l’empire.

    Il est une histoire singulière qui nous est parvenue à travers les millénaires : celle de Gilgamesh, un jeune roi fougueux, tyrannisant ses sujets, qui, au fil de ses aventures dans sa condition de mortel, se lance à la recherche de l’immortalité ; il la laisse échapper mais c’est fort de son expérience et empli de sagesse qu’il rentre chez lui.

    Gilgamesh est l’un des rois mythiques dont les exploits racontés dans les textes servent de base à la mise en place d’une idéologie royale. Il s’agit d’abord de légitimer un mode de gouvernement : une royauté venue du ciel, exercée par un homme choisi par les dieux. Gilgamesh est le dernier maillon de cette geste de rois héroïques auxquels veulent se rattacher les souverains, réels, eux, de Mésopotamie.

    Gilgamesh et Enkidu s’affrontent. [http://lumenancient.weebly.com/gilgamesh.html]


    Sa figure ainsi élaborée devient le portrait du roi par excellence. Ses cheveux abondants et sa barbe fournie symbolisent sa force. De sa personne se dégage, ainsi qu’un dieu, mais en moindre intensité, un melammu, une sorte d’aura que les simples humains ne peuvent supporter. A mi-chemin entre les dieux et les êtres humains, il est celui qui relie les deux mondes. Le roi se devra donc d’être pieux, de construire et de restaurer les temples, d’élever des ziggurats dans chacune des grandes villes du royaume.

    Le roi se doit d’agrandir son royaume comme le feuillage de l’arbre se développe. Il doit notamment protéger et assurer l’accès à l’eau et au naphte (qui sert d’imperméabilisant), cruciaux pour l’irrigation. Le roi est ainsi un roi de guerre qui s’élance jusqu’au maximum de ses possibilités. C’est aussi un roi de paix, car il assure la sécurité de ses sujets afin d’en assurer la prospérité.

    Il fait creuser et entretenir les canaux, met en place une administration rigoureuse et efficace pour lutter contre les caprices de la nature (inondations, sécheresses…). C’est aussi un roi de justice, il se doit alors d’être juste et mesuré : c’est là l’une des grandes fonctions royales.

    Au Bronze ancien, se sont développées et mises en place les images du pouvoir. La stratification de la société se manifeste à travers l’architecture palatiale et religieuse, monumentale et soignée, ou à travers l’urbanisme, qui, au sein des cités, consacre un espace à l’accueil des sièges de ces pouvoirs. La différence notable entre peuple et élite s’accentue, et le système se hiérarchise. Cela est particulièrement visible à travers les images. tandis que la divinité s’anthropomorphise de plus en plus, la royauté et ses tenants s’élèvent pour se distinguer de l’homme du commun, pour être glorifiés, voire déifiés pour la première fois à la fin du IIIe millénaire.

    A cette fin se mettent en place des programmes iconographiques où se côtoient les dieux et leurs représentants sur terre qui, par ce biais, légitiment leur pouvoir. Leurs activités principales sont, comme dit plus haut, de rendre hommage à leur dieu par l’intermédiaire de banquets, et d’assurer la protection de leur peuple par l’exercice de la guerre. Bien souvent, cependant, ce n’est pas la bataille qui est représentée mais des scènes de victoire ; processions de prisonniers, préparation du banquet, libations et sacrifices d’animaux aux dieux. Ces thèmes récurrents sont le biais par lequel les élites dirigeantes représentent leur légitimité et leur domination sociale.

    Quoiqu’il en soit, les images ne sont pas diffusées au hasard : elles sont soit destinées à être vues par le peuple, exposant alors la supériorité d’un homme et de ses troupes, soit par un groupe restreint, bien souvent celui d’une élite. Dans ce dernier cas, il est intéressant de remarquer qu’il ne s’agit plus de la mise en avant d’un homme, mais bien d’une élite, par le biais de matériaux souvent coûteux. Cette distinction est d’ailleurs intéressante à plus d’un titre pour appréhender, ou tenter d’appréhender, les différents cercles du pouvoir.

    Pour conclure, le roi occupe, au moins dans la région sur laquelle nous portons ici notre intérêt, une place charnière entre les hommes et les dieux. Il est à la fois celui qui doit satisfaire et vénérer les uns ; protéger et juger les autres, organiser et restaurer le milieu de vie, assurer la prospérité de ses sujets et étendre les limites de son royaume.
    Le roi oriental est une figure pastorale menant un troupeau d’hommes qui lui vouent une admiration sans bornes et sans failles, lui l’égal des dieux dont la personne est sacrée. Il est notable d’observer, au XIIe siècle avant notre ère en Assyrie, un tournant dans cette imagerie de toute-puissance et d’intouchabilité jovienne, opéré par le roi Assur-Uballit Ier et sans doute amorcé par son père avant lui, Eriba-Adad Ier.
    De vizir du dieu, la titulature royale se recentre sur la personne du roi en tant que partie indépendante d’une quelconque divinité. Ce changement est à comprendre comme étant l’accaparement par le roi du pouvoir royal qui lui appartiendra désormais en totalité, qu’il tient de lui-même, c’est-à-dire non délégué par un tiers hiérarchiquement plus élevé. Il se proclame par la même occasion, simple, mais puissant, humain. Le roi-transmetteur devient dès lors roi-émetteur et l’expression idéologique n’en sera que plus forte.

    [http://lumenancient.weebly.com/gilgamesh.html]

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    Bibliographie :

    https://petitegalerie.louvre.fr/content/pouvoir-royal-dans-lorient-ancien-0

    https://petitegalerie.louvre.fr/content/repr%C3%A9sentations-du-souverain-au-proche-orient-ancien-de-sumer-%C3%A0-suse

    https://ane.hypotheses.org/582

    https://www.areion24.news/2021/09/15/gilgamesh-un-modele-de-roi/2/

    https://wikis.ifporient.org/archeologie/index.php?title=Artisanats_et_soci%C3%A9t%C3%A9s_au_Proche-Orient_Ancien#Id.C3.A9ologie_royale_et_images_du_pouvoir_au_Proche-Orient_au_Bronze_ancien

  • L’essentiel de nos connaissances actuelles sur Göbekli Tepe.

    L’essentiel de nos connaissances actuelles sur Göbekli Tepe.

    Nous sommes dans la chaîne montagneuse du Germus au sud-est de la Turquie à environ 800 mètres d’altitude. Sur une zone de près de 130 ha s’étend le site de Göbekli Tepe, où une équipe menée par Klaus Schmidt découvre, en 1995, les célèbres cercles abritant des monolithes de calcaire hauts de plusieurs mètres.

    A droite sur la photo ci-dessous, on peut voir la zone d’excavation principale où se situent les enceintes circulaires.

    Vue aérienne de Göbekli Tepe en 2013. DAI, Göbekli Tepe Project. https://whc.unesco.org/uploads/thumbs/site_1572_0001-1000-666-20180220152645.jpg


    Ce site occupé par des chasseurs-cueilleurs date de 9500 avant notre ère, ces enceintes sont tout simplement les plus anciens édifices connus de l’humanité. Les grandes pierres en forme de T sont gravées de figures animales : renards, félins, canards, vautours, sangliers, marcassins. Au centre d’un cercle de pierres, on a retrouvé des statues d’animaux très réalistes et des petites sculptures anthropomorphiques, des totems. Les monolithes eux-mêmes le sont : des bras ont été gravés sur leurs flancs et se rejoignent dans un croisement de mains au niveau de ce qui semble être une ceinture serrée autour d’un pagne.

    Pilier central à l’ouest dans le bâtiment D à la suite des fouilles en 2010. DAI, Göbekli Tepe Project. https://whc.unesco.org/uploads/thumbs/site_1572_0004-1000-1496-20180220153534.jpg

    Klaus Schmidt a soutenu la théorie d’un lieu de culte, voyant dans ces piliers des géants incarnant des divinités ou des ancêtres. L’éminent archéologue Jean-Paul Demoule soutient qu’on estime que ce sont des espaces cérémoniels, surnaturels, sans pouvoir aller plus loin. Dire qu’il s’agit des premiers temples construits de l’humanité ne lui semble pas abusif. L’état de conservation exceptionnel démontre l’absence de destruction, c’est-à-dire que le lien des populations avec ces édifices était très étroit et sa signification lourde et intemporelle.

    Comme nous l’avons dit plus haut, les personnes ayant érigé ces monuments étaient des chasseurs-cueilleurs, ce que confirme l’absence de restes d’animaux domestiques et d’agriculture évidentes. La taille imposante du site laisse supposer qu’il était le centre religieux des communautés qui commençaient à se sédentariser dans les environs. Des assemblées auraient pu s’y tenir pour établir les relations entre les différents clans de chasseurs-cueilleurs, sous l’œil des anciens (les monolithes) qu’ils se devaient d’honorer.

    L’absence de figures féminines identifiables intrigue les experts, Schmidt notamment, et les pousse à penser que cette absence signifie que ce lieu était dédié aux morts, la féminité étant intrinsèquement liée à la vie et à la fertilité. D’autres indices viennent corroborer cette théorie de l’archéologue allemand ; sur les gravures, de nombreux oiseaux sont représentés. L’une d’elles montre un volatile qui semble tenir la tête d’un homme dans son bec. Or, la moitié des restes retrouvés autour du site sont apparentés aux corvidés, une famille de charognards. De nombreux os de vautours ont également été exhumés.

    Le pilier 43 dans le bâtiment D montre des bas-reliefs de différents animaux, insectes et une figure humaine ithyphallique sans tête. 2010. DAI, Göbekli Tepe Project. https://whc.unesco.org/uploads/thumbs/site_1572_0011-1000-1492-20180220155200.jpg

    Pour mieux comprendre, les experts se sont tournés vers le zoroastrisme, dans lequel il est courant d’exposer les défunts en hauteur afin de procéder à leur « inhumation céleste ». Les oiseaux charognards viennent dévorer leur corps et s’envolent avec les restes. Le même rituel a pu avoir cours à Göbekli Tepe. Une théorie qui validerait l’idée selon laquelle le temple serait bien dédié aux morts.

    Une autre théorie, reliée, peut être émise : l’homme ithyphallique décapité serait un chamane en pleine transe, à l’image de celui que l’on trouve dans le puits de la grotte de Lascaux. Les oiseaux, de par le milieu dans lequel ils évoluent, font symboliquement le lien entre les cieux des dieux et la terre des hommes. A noter qu’un oiseau sur un perchoir est également visible au fond du puits de la grotte de Lascaux. Cet homme raccourci d’une tête serait alors un chamane en transe représenté de manière à faire comprendre que ce lieu était un site où se tenaient (aussi) des rituels chamanico-médiumniques, les figures en T étant les âmes des ancêtres matérialisées. Mais nous y reviendrons plus loin.

    Pour réaliser ces monuments, les chasseurs-cueilleurs ont dû acheminer des blocs de plusieurs tonnes depuis une carrière située à un kilomètre de là. Il est clair que cette activité demandait une main d’œuvre considérable et n’était pas l’affaire d’une demi-journée. D’où l’hypothèse qu’une forme primitive d’agriculture et d’élevage était en cours à proximité du chantier.

    Selon les experts du site, Göbekli Tepe était un lieu où des groupes nomades de la région se rassemblaient pendant quelques mois ; selon eux, des activités domestiques et des rituels avaient vraisemblablement lieu dans ces enceintes. Selon des études récentes, la main-d’œuvre nécessaire à la construction de Göbekli Tepe devait reposer sur plusieurs centaines de personnes, de grands festins ont probablement été organisés et l’on a peut-être expérimenté la culture de céréales, qui a ouvert la voie à une transition du mode de vie menant à la naissance des civilisations.

    Des pierres taillées grossièrement ont été retrouvées empilées dans un secteur du site, lesquelles se sont révélé être des mortiers et des pilons. On a aussi trouvé une abondance d’os de gazelles et d’aurochs chassés, mais aucune aire de stockage de nourriture. Autant d’éléments qui indiquent la préparation de festins, d’après une étude publiée récemment dans la revue PLOS ONE par des experts de l’institut archéologique allemand et d’autres groupes de recherche berlinois.

    On ignore le déroulement exact des événements, mais on peut présumer qu’il y a une relation entre le début de la production de nourriture et les activités rituelles se tenant sur des sites comme Göbekli Tepe, estime Jens Nostroff, archéologue à l’institut allemand à Berlin et responsable des fouilles, soutenu par son collègue Lee Clare, coordonnateur de la recherche sur le site. Selon ce dernier, même si ces personnes pratiquaient encore la chasse, elles récoltaient aussi des semences sauvages. Elles commençaient à expérimenter la culture par essai-erreur.

    Du petit épeautre et de l’orge sauvge ont d’ailleurs été retrouvés dans les mortiers et pilons. Ces céréales étaient moulues en farine grossière selon les chercheurs et servaient à fabriquer du pain à texture de porridge et/ou des boissons alcoolisées comme de la bière.

    A quelques mètres des ruines, se trouve un arbre à souhaits. A l’emplacement de cet arbre, les archéologues ont découvert des masques de pierre. Les occupants de Göbekli Tepe auraient retiré des crânes de sépultures, puis les auraient nettoyés et décorés avec du plâtre et des incisions. Certains d’entre eux portent des perforations, ce qui indique qu’ils étaient peut-être accrochés par une corde. Selon une étude parue dans Science Advances en 2017, cette pratique courante du néolithique illustre un possible culte des ancêtres.

    De plus, le site, désigné pendant plusieurs années comme le premier temple religieux de l’histoire n’en serait pas vraiment un, aux dires de Lee Clare et Jens Nostroff. Ils expliquent qu’il n’y a aucune preuve de vénération des dieux et que l’usage du lieu n’était pas seulement associé aux rituels :

    « Göbekli Tepe était un pôle social où des groupes se rassemblaient pour échanger des informations, des biens ou des partenaires, estime Jens Nostroff. Ces groupes ont créé une structure sociale temporaire, peut-être même une hiérarchie. Il faut assurément un type d’organisation sociale pour former quelque chose d’aussi monumental. »

    Vue aérienne de la zone d’excavation principale. 2011. DAI, Göbekli Tepe Project. https://whc.unesco.org/uploads/thumbs/site_1572_0003-1000-1500-20180220153235.jpg


    Pour conclure, nous tenterons d’élaborer une théorie plausible sur la véritable utilité de ce site exceptionnel. Tout d’abord, attardons-nous sur la symbolique des animaux représentés : deux hypothèses, se soutenant l’une l’autre, peuvent être avancées. La première est que ces animaux sont des figures symbolisant un lien entre le monde des morts et celui des vivants ; selon le célèbre Dictionnaire des Symboles de Chevalier et Gheerbrant, le scorpion, le renard, le canard ( cygne ?), le vautour et le sanglier auraient tous au moins une symbolique gravitant autour du monde des ténèbres.

    Mention spéciale au renard qui lui endosserait carrément un rôle de psychopompe. L’autre hypothèse, soutenue par les figures anthropomorphes identifiées à des totems, serait celle du totémisme : au sein des sociétés traditionnelles du néolithique, les clans ou groupes familiaux font remonter leur origine à un ancêtre mythique, souvent un animal. Les animaux représentés sur ces grands monolithes auraient donc pour but d’insuffler symboliquement les âmes de ces ancêtres aux grandes roches ou simplement de les représenter de manière visible afin de leur rendre hommage. Ce que nous actuellement, voyons comme un lieu de culte obligatoire en cas d’absence du corps physique ; une pierre tombale ou une croix plantée dans le sol.

    Bâtiment A, 2008. K.Piseker. DAI. https://whc.unesco.org/uploads/thumbs/site_1572_0007-1000-669-20180220154058.jpg


    Les festins ayant eu lieu revêtent maintenant un autre aspect à nos yeux ; celui de rendre hommage à un ou plusieurs morts s’étant produites au sein des clans. Une pierre était érigée en l’honneur de ces ancêtres, les membres festoyaient, profitaient de l’occasion pour s’échanger des biens, se livraient à des rituels chamaniques destinés à faciliter le passage du ou des morts dans l’au-delà et/ou à garantir la paix de son/leurs âmes avant de s’en retourner chez eux. Cette théorie a au moins l’avantage d’expliquer de manière plausible la raison pour laquelle d’innombrables pierres ayant servi de mortiers et de pilons et attestant d’une occupation intermittente étaient empilées dans un coin du site. La science et l’archéologie ne manqueront pas de la confirmer ou de l’invalider dans les prochaines années.

    Vue aérienne de Göbekli Tepe et de ses environs. 2006. DAI, Göbekli Tepe Project. https://whc.unesco.org/uploads/thumbs/site_1572_0005-1000-1000-20180220153654.jpg



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    Bibliographie :

    https://www.caminteresse.fr/histoire/gobekli-tepe-les-5-mysteres-du-plus-ancien-temple-de-lhumanite-11146344/

    https://www.quebecscience.qc.ca/sciences/gobekli-tepe-ruines-lieu-fetes/

    https://www.universalis.fr/encyclopedie/gobekli-tepe-site-archeologique/2-un-bestiaire-de-chasseurs/

    https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220615-en-turquie-les-myst%C3%A8res-sans-fin-du-sanctuaire-de-gobekli-tepe

    https://whc.unesco.org/fr/list/1572/gallery/

    – Chevalier, J., & Gheerbrant, A., et al. Dictionnaire des symboles. 2021. Montchrestien. Bouquins.

  • Crocodilopolis, trône de Sobek

    Crocodilopolis, trône de Sobek

    Nous sommes dans l’oasis du Fayoum, à l’ouest du Nil et au sud du Caire. Il y a environ 4300 ans, les textes des pyramides parlaient de la ville de Shedet dans l’oasis du Fayoum, où le dieu crocodile Sobek était vénéré. Environ cinq cents ans plus tard, la ville a prospéré pendant l’empire égyptien du milieu, lorsque les marécages du Fayoum ont été drainés pour développer l’oasis pour l’agriculture. Shedet est resté un centre religieux majeur où le culte des crocodiles a continué au moins jusqu’à l’époque gréco-romaine qui donna à la ville son nom de Crocodilopolis, la ville du crocodile.

    Le bassin du Fayoum couvre actuellement une superficie estimée entre 1270 km² et 1700 km². Cet espace comprend des champs arrosés par le Bahr Youssouf, un canal drainant les eaux du Nil ; le canal se ramifie au niveau du Fayoum, approvisionnant en eau les riches terres agricoles du bassin du Fayoum avant de se jeter dans le grand lac d’eau salée Moéris.

    La capitale de ce bassin fertile, l’actuelle Medinet el-fayoum, profitait donc d’une situation géographique avantageuse, havre pour les agriculteurs qui pouvaient y cultiver céréales, légumes, olives et fleurs. Cette ville portait un autre nom sur lequel nous nous attarderons ; Per Sobek (« la maison de Sobek »), Sobek (Suchos en grec) étant un dieu crocodile, à corps d’homme et à tête de crocodile, de la mythologie égyptienne.

    Sobek est traditionnellement présenté comme le fils de Neith et d’un des dieux jumeaux (Osiris et Seth). Il est un dieu de l’eau et de la fertilité, statut qui le fait adorer partout dans le delta du Nil, à Kôm Ombo et dans le Fayoum. Sobek est né de la réalité selon laquelle la présence de crocodiles dans le Nil était pour les égyptiens l’annonce d’une crue favorable aux récoltes. À la Basse époque, les égyptiens cherchent à gagner ses faveurs en lui offrant des figurines représentant l’animal portant le disque solaire orné du cobra protecteur. Il deviendra rapidement un dieu important dans le panthéon sous la forme syncrétique de Sobek-Rê. On comprend aisément pour quelle raison Sobek est considéré comme un dieu primordial.

    Crocodilopolis est dédiée au culte de Sobek ; on retrouve des vestiges du temple de Sobek datant de la XIIe dynastie et les vestiges du bassin du crocodile sacré, Petsuchos, dont Strabon décrit les repas, ainsi que les thermes que les romains y construisirent. Pendant des millénaires, les colonnes du grand temple construit il y a environ 3800 ans par le pharaon Amenemhat III pour le dieu Sobek se trouvaient dans les champs agricoles. De nombreuses pièces furent brisées à l’époque gréco-romaine pour réutiliser le précieux granit rouge d’Assouan à partir duquel elles ont été fabriquées. À l’intérieur de ce temple érigé en l’honneur du dieu, on gardait un crocodile dans un étang entouré d’une plage de sable, laquelle était couverte d’or et de bijoux et des prêtres le nourrissaient de gâteaux de miel et de viandes.

    http://egypttrips.blogspot.com/2009/03/crocodilopolis.html

    À sa mort, ce crocodile était embaumé et remplacé par un autre « fils de Sobek ». De grandes tombes avaient été construites pour leur repos et on a découvert près d’El-Amarna, dans la célèbre grotte des crocodiles, des milliers de momies de crocodiles.

    Momie de crocodile. https://vovatia.wordpress.com/2011/01/30/crocodile-with-the-jaded-jealous-smile/

    Le crocodile était véritablement sacré, à tel point que celui qui était dévoré par lui avait le privilège plus ou moins heureux d’être élevé au rang de l’« enfant chéri » du dieu…

    Le labyrinthe de Crododilopolis, sorte de temple funéraire réservé aux défunts crocodiles, est l’œuvre d’Amenemhat III qui fut inhumé dans la pyramide adjacente au labyrinthe. Selon un voyageur nommé Paul Lucas, ce sanctuaire de 200 m sur 170 présentait un premier grand portique qui donnait sur une salle. On trouvait alors un second portique qui donnait sur une autre salle de moindres dimensions, puis un autre portique derrière lequel se trouvait une nouvelle salle encore plus petite. Il explora environ 150 chambres et les anciens rapportent que les chambres, au nombre de 3000, étaient reliées les unes aux autres par des couloirs enchevêtrés d’où seul un homme connaissant les lieux pouvait sortir. Hérodote écrit que le labyrinthe surpassait les pyramides, par ses dimensions notamment.

    Carte de ce qui serait la pyramide d’Amenemhat III et son complexe funéraire, la base du labyrinthe de Crocodilopolis.
    [Un véritable labyrinthe souterrain antique aurait été découvert… En Égypte ancienne ! – À Lire (paperblog.fr)]


    La grande ville de Shedet / Crocodilopolis, ou Arsinoé comme on l’appelait à l’époque ptolémaïque, a continué à changer à travers les siècles. Les Ptolémées ont démantelé le temple monumental de Sobek. Les bâtiments antérieurs ont été remplacés lorsque la ville a prospéré à l’époque romaine et plus tard en tant que siège des évêques chrétiens. Lorsque Medinet El Fayoum a grandi sous les dirigeants musulmans, les vestiges de l’ancienne ville de Kiman Faris plus au nord ont été réduits en tas de décombres et ont maintenant disparu sans laisser de trace.

    Medinet el-fayoum est désormais une grande ville abritant près d’un million d’habitants, capitale du gouvernorat du Fayoum. Elle possède plusieurs vastes bazars, des mosquées, des bains et un marché hebdomadaire. Au nord de la ville, des monticules trahissent l’emplacement de la ville antique où l’on vénérait le crocodile sacré. Le centre-ville s’articule autour du canal avec ses quatre roues à eau dont le gouvernorat du Fayoum a fait son emblème.

    « View of Medinet al-Fayoum » Jean-Léon Gérôme (1868 – 1870)


    Bibliographie :

    Kiman Faris ( Shedet – Arsinoe Crocodilopolis ) | Explorez Fayoum (fayoumegypt.com)

    Sobek — Wikipédia (wikipedia.org)

    Les principaux sites de l’Egypte ancienne (bseditions.fr)

    Crocodilopolis — Wikipédia (wikipedia.org)

    Crocodile, with the Jaded Jealous Smile | VoVatia (wordpress.com)

    Un véritable labyrinthe souterrain antique aurait été découvert… En Égypte ancienne ! – À Lire (paperblog.fr)

    Médinat El-Fayoum – Guide de voyage & touristique à MÉDINAT EL-FAYOUM – Égypte – Petit Futé (petitfute.com)

    Médinet el-Fayoum — Wikipédia (wikipedia.org)

    http://egypttrips.blogspot.com/2009/03/crocodilopolis.html

  • Abaris le Scythe

    Abaris le Scythe

    Vers le VIe siècle avant notre ère, un personnage semi-légendaire fait parler de lui. Philosophe et mage mi-historique, mi-fabuleux dont on dit qu’il fut actif vers 568 avant J.-C., les témoignages dont on dispose à son sujet le font vivre tantôt au ~ VIIe, tantôt au ~ VIe, voire au ~ Ve siècle.

    En fait, il semble qu’Abaris, comme Aristéas et Épiménidès, ait été un des chefs de file de la réaction religieuse et mystique qui se produit au ~ VIe siècle contre l’essor du rationalisme. Selon la légende, Abaris serait issu du peuple mythique des Hyperboréens et aurait été prêtre d’Apollon. Il aurait, porté par une flèche d’or d’Apollon qui avait le pouvoir miraculeux de rendre son possesseur invisible, fait le tour de la Terre, annonçant les calamités naturelles, comme les tremblements de terre.

    On lui attribue aussi le pouvoir de combattre les maladies par ses incantations (Platon, Charmidès, 158 b). Il aurait notamment guéri les Lacédémoniens de la peste. On cite de lui des oracles et des formules magiques, ainsi qu’un poème sur Apollon chez les Hyperboréens. Abaris a été associé par les néo-platoniciens au culte de Pythagore et est même considéré par certains comme un précurseur du maître.

    D’après la Souda, « comme de nombreux peuples envoyaient des ambassadeurs auprès des Athéniens, on dit qu’Abaris fut l’envoyé des Hyperboréens, au cours de la 53e olympiade » (-568/-565). Pindare (fragment 270) place Abaris à l’époque de Crésus (-561/-546). D’autres parlent de -696/-693. Selon Colli, « la figure d’Abaris est établie historiquement, mais elle est ponctuée d’ajouts mythiques. La détermination chronologique de Pindare renvoie à la moitié du VIe s. av. J.-C. (la prise de Sardes date de 546 av. J.-C.), mais Erwin Rohde voudrait avancer un peu la vie d’Abaris. Elle s’écoulerait ainsi entre la fin du VIIe s. et la moitié du VIe s. Pour des raisons chronologiques, Abaris ne peut être pythagoricien, comme le dit Jamblique (Vie de Pythagore). Il est « pythagoricien » au sens large du mot : occultiste, ésotériste, mage.

    Selon Lycurgue, « Abaris, après qu’il eut été possédé du dieu, parcourut la Grèce avec une flèche, et prononça des oracles et des discours divinatoires. Abaris, lors d’une famine chez les Hyperboréens, partit et devint le mercenaire d’Apollon. Après qu’il eut appris de lui les réponses oraculaires, il parcourut la Grèce, tenant la flèche, symbole d’Apollon, et rendit des oracles. »

    Scythe ou hyperboréen, il voyage par toute la Grèce, et se fait surtout admirer à Athènes. On lui attribuait de très grandes connaissances en médecine, et Platon le regarde comme un grand maître dans l’art des incantations. C’est un représentant de la sagesse des barbares, dont les contemporains d’Hérodote commençaient déjà à s’éprendre, et des purifications mystiques, chères aux orphéotélestes et aux pythagoriciens. On faisait circuler sous son nom quantité d’ouvrages apocryphes, entre autres des Catharmes ou formules expiatoires, des Oracles scythiques, une Théogonie en prose etc.

    Selon Hérodote, Abaris cumule les pouvoirs merveilleux : d’une part, comme chamane, il détache l’âme (symbolisée par la flèche) de son corps, d’autre part il est capable d’inédie (c’est-à-dire de vivre sans se nourrir). Les Grecs en faisaient une école, qui anticipait le pythagorisme.


    Sources :

    – Michel GAREL, « ABARIS (VIE s. av. J.-C. ?) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 10 novembre 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/abaris/

    Abaris – LAROUSSE

    Sorcellerie dans l’Antiquité _ _ Abaris le Scythe – « L’histoire, c’est un conte de faits… » (skyrock.com)

  • Symbolique et iconographie des hommes-poissons dans la mythologie proche-orientale ancienne et la littérature : l’exemple des Apkallu, et des hommes-poissons dans One Piece.

    Bonjour, nous allons parler aujourd’hui d’un sujet conciliant au moins trois domaines ; les hommes-poissons. Nous ne parlerons pas des sirènes, qui sont de sexe féminin, mais bien des hommes-poissons, y compris leur représentation dans la pop culture.

    Pour commencer, et avant d’élaborer sur les apparences et actions spéciales de ces hommes-poissons, commençons par développer la symbolique du poisson. Le poisson est le symbole par excellence de l’eau et le raccourci le plus intuitif et rapide par lequel on représente cet élément nourricier. Selon Jean chevalier et Alain Gheerbrant dans le fameux Dictionnaire des Symboles, le poisson est associé à la naissance ou à la restauration cyclique. Dans le récit du Déluge de la mythologie indienne, le poisson est celui qui remet à Manu, le héros de ce déluge, les Veda, c’est-à-dire l’ensemble de la science sacrée. Les mêmes auteurs poursuivent en signalant que le Christ est lui-même symbolisé par le poisson, étant celui qui guide l’arche ecclésiale.

    On retrouve ce symbolisme de savoir et de connaissance associé à l’élément eau, et par là au poisson, dans l’iconographie mythologique du dieu Enki, représenté avec des flots d’eau peuplés de poissons jaillissant de ses épaules ou de son dos. Pour rappel, ce dieu est surnommé l’« Ingénieux » et est notamment le dieu de la sagesse, des savoirs et des techniques. Les poissons sacrés de l’Egypte antique, le Dagon Phénicien, l’Oannès mésopotamien attestent des symbolismes identiques, le dernier surtout étant d’une part envoyé par Enki, considéré comme le Révélateur et aussi une figure du Christ.

    Par ailleurs, le poisson est encore symbole de vie et de fécondité par sa prodigieuse faculté de reproduction et du nombre infini de ses œufs, symbole qui peut se transférer au plan spirituel. Dans les religions syriennes, le poisson est l’attribut des déesses de l’amour. Dans l’ancienne Asie mineure, Anaximandre précise que le poisson est  » le père et la mère de tous les hommes  » et que, pour cette raison, sa consommation est interdite.

    Malgré de nombreuses variantes dans les légendes et pratiques rituelles, le poisson était généralement un être ambigu. La symbolique du poisson s’est étendue au christianisme, avec un certain nombre d’applications qui lui sont propres, alors que d’autres interprétations sont évidemment à exclure. Parfois il représente le Christ et son église, l’Eucharistie. Sa représentation aux catacombes constitue une image du Christ.

    Quoiqu’il en soit, on retrouve ce thème de la sagesse dans la dénomination « Apkallu » employée pour désigner les sept créatures semi-divines envoyées par le dieu Enki pour donner la civilisation aux hommes, et dont le premier se nomme Oannès en grec. On les appelle dans la littérature les Sept sages. Ils devaient enseigner à l’humanité la science, les arts et les techniques et se succédèrent pour conseiller les rois antédiluviens de Sumer. Ces hommes-poissons sont représentés dans l’iconographie comme ayant un corps de poisson greffé à un corps d’homme, la tête de poisson dirigée vers le haut lorsque l’homme est debout, se confondant avec celle de l’homme.

    On eut dit que l’homme se contente de revêtir une peau de poisson comme un chef de guerre tribal revêt une peau de prédateur, mais il n’en est rien ; ces sept créatures étaient amphibies car une fois leur mission accomplie parmi les hommes, ils repartaient dormir sous l’eau. Il est fort probable que nous ne sachions jamais si ces créatures existent mais le lien entre sagesse, connaissance et figure du poisson est bien établi dès cette époque. D’ailleurs, on peut admettre que le fait de les représenter sous cette forme singulière est une démonstration de leur sagesse, qu’ils furent véritablement hommes-poissons ou simples hommes, tout comme on représente des ailes affublant un être pour signifier qu’il possède la capacité de voler, sans quoi une telle compréhension de l’image serait bien terre à terre ou, au choix, obscure et impertinente.

    Si la nature fondamentale d’homme-poisson de ces êtres est évidente grâce à la manière même de les représenter, il est des hommes-poissons dont le caractère marin est si fusionnel avec leur corps d’hommes que seule une observation plus ou moins attentive permet de les identifier comme tels. Je veux parler ici des hommes-poissons apparaissant dans l’œuvre One Piece créée par Eiichirô Oda. Ces hommes-poissons ne semblent pas être dotés d’une sagesse remarquable, en revanche, leur force est dix fois supérieure à celle des hommes normaux, davantage lorsqu’ils sont immergés. Ils sont, de plus, appelés hommes-poissons par simplicité car ces hommes-poissons sont en fait des hommes-requins scies, des hommes-poulpes, des hommes-murènes etc.


    Sources :

    Hommes-Poissons | One Piece Encyclopédie | Fandom

    Chevalier, J., Gheerbrant, A., Dictionnnaire des symboles (mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres). Bouquins. Montchrestien. 2021.

    Galador, L., Dictionnaire illustré des divinités et symboles de la Mésopotamie. Galador. 2020;